Avis documentaire, Vol 471. Crash des Andes. Cannibalisme, chamanisme, anthropophagie, philosophie. 8/10

Temps de lecture : 3 minutes

Cet excellent documentaire, du Vol Fuerza Aérea Uruguaya 571, nous montre les lieux véritables et les hommes. On est ici au-delà d’une certaine télé-réalité. On approche très clairement de la grande philosophie appliquée. Ce qui n’est pas une mince affaire.

Survivants des Andes :

Il y a quelque chose d’incroyablement tabou, mais aussi de sacré, dans le fait de manger son prochain. Seule une pensée chaman, doublée de l’absolue nécessité, permet de franchir ce pas ultime.

Pour atténuer les tensions, il nous faut échanger avec quelque chose d’aussi grand, que ce corps sacralisé. Il faut au moins cela pour conjurer cet interdit majeur.

Un des protagonistes a eu une sorte d’illumination en pensant au « Prenez car ceci est mon corps ». Ceci lui a donné une raison suffisante de passage à l’acte. Il aura fallu passer par la magie de l’Eucharistie pour cette transaction paradoxale. Cet alibi choc tient clairement de la pensée paralogique, plutôt que du religieux, au sens traditionnel du terme

Les chamanes priaient déjà intensément, juste pour l’échange avec cet animal tué. Que faisaient ils alors pour rendre acceptable de tuer un homme… puis de le consommer ? Ce dialogue est ce que certains nomment l’intercession avec l’au-delà. Mais cette étape de l’après, n’a pas besoin d’être positionnée bien loin. C’est juste notre limite et cela reste donc très humain.

Pour effacer cette dette, nos survivants ont sans doute prié toute leur vie. Il n’est pas étonnant qu’ils aient commencé à trouver du repos, dans leur âme tourmentée, juste à partir du moment ou un prêtre leur a dit tout simplement « vous avez bien fait ». Et quand je pense que l’église jadis s’est opposée farouchement à la simple dissection didactique ! On est donc bien au-delà du religieux.

D’ailleurs les médias survoltées ont tout de suite agités les totems majeurs, comme ces gros titres qui mentionnaient toujours le « cannibalisme ». Les rescapés se cramponnent à appeler cela « anthropophagie ».

A noter que la question ne s’épuise pas avec un « qu’est ce que j’aurais fait ? ». Feu Hubert Reeves, dont les paroles ne sont pas toutes d’évangile, a cristallisé cette problématique sans le savoir.

Dans ses confessions de flâneur péripatéticien, Reeves ne se voyait jamais comme définitivement mort. C’est la thèse de la réincarnation perpétuelle de nos particules élémentaires depuis la propagation des premières « poussières d’étoile ». Et donc les passagers mangés se retrouvent plus rapidement que l’on pouvait le penser, intégrés aux corps des survivants. CQFD.

Ce documentaire nous montre des destins ordinaires dans un cadre extraordinaire. En tout cas pour ceux qui s’en sont sortis. Même les plus héroïques ne se sentent pas des surhommes.

Pourtant leur devenir est pareil à ceux observés dans ces scénarios hollywoodiens, tous basés sur « Le Triomphe de la volonté » cher à Leni Riefenstahl et aux nazis en général. Mais les yankees ne sont pas de reste avec leur « we can make it / yes we can ». Scénarios qu’à la longue, on finit par trouver invraisemblables, tellement ils sont bêtement linéaires.

Mais là on a trouvé « le grand original », la vraie épreuve extrême au bout de laquelle il y a le salut. Et pourtant on n’invoque pas la main de dieu ici ou la force de l’idéologie ou d’une secte.

Pour le récit lui-même je vous laisse vous émouvoir dignement, en suivant ce spectacle si bien conçu. On alterne les témoignages les plus directs, avec ceux des familles et des professionnels de la montagne.

C’est l’homme à la fois immensément petit dans ces Andes démesurées et immensément grand quand il peut accomplir l’impossible. Ce Nando, qui a été choisi comme un chef naturel, pourrait être un demi-dieu dans la mythologie, pourtant c’est l’Homme. Le vous et moi, quand il se dépasse.

Les protagonistes laissent filtrer une phrase qui montre bien la complexité des êtres. « Oui, il y a eu des grands destins et de l’abnégation, mais oui aussi il y a eu des petitesses ».

À noter que c’est que quand les deux sauveurs ont estimé qu’ils allaient mourir certainement, qu’ils ont montré le plus de courage. Cela montre des caractères en fer forgé autant que l’instinct vital. Mais dans le fond cette « survie triomphale jusqu’à la mort » est un magnifique trope qui nous emmène loi, très loin.

La plupart d’entre nous auraient jeté l’éponge.

Il est dit par un de ces hommes, qu’on se trompe quand on pense que les grandes épreuves font de nous des êtres différents. En fait selon lui cela montre au contraire, ce que nous sommes réellement et qui ressurgit en pleine lumière dans ces circonstances.

Certes, comme dit le philosophe Nietzsche, « ce qui nous tue pas nous rend plus fort ». Mais cela n’implique pas que nous ayons changé de nature. Cette permanence du soi, est une belle hypothèse.

Pour le récit lui même, je ne peux que vous conseiller l’excellent reportage. Il mêle les témoignages des passagers survivants, des familiers et des professionnels de la montagne. C’est poignant. Autant rester vierge jusque là.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Chaman

https://fr.wikipedia.org/wiki/Vol_Fuerza_A%C3%A9rea_Uruguaya_571

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