Chère Famille. Résumé film. Tutta Rolf Ange bleu. Argent et partie-cul. Molander, Suède nazie ? 7/10

Temps de lecture : 8 minutes

Ce Chère Famille de 1933 est rafraîchissant et bienveillant ; mais il n’en demeure pas moins troublant à certains égards.

En particulier pour les stéréotypes du personnage de Ludwig, au nez prononcé (nez de faucon?), aux grandes oreilles et à l’air fourbe, et qui fait des affaires trop profitables, avec Carl Barcklind , le chef de famille suédois bon teint. Au final, tout le monde semble se satisfaire, que ce marchandeur « Shylock », visiblement « pas de chez nous », prenne un coup de pied aux fesses pour l’ensemble de son œuvre. Avec ce sort consensuel, réservé au « profiteur », on se croirait dans l’antichambre du Juif Süss. Il y a vraiment quelque chose de gênant au regard de la suite de l’histoire nazie 1933-1945. Prise de pouvoir d’Hitler l’année de sortie du film Chère Famille.

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A noter cependant que l’acteur concerné Evin Adolphson est un Suédois, comme il y en des millions. C’est plutôt par le rôle forcé en ” Isaac ” qu’on lui demande qui est considéré suspect.

J’y reviendrai lors de la conclusion.

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Molander commence le récit par la démonstration en long et en large du savoir faire sur des skis, de son actrice fétiche Tutta Rolf. Dont acte, on voit qu’elle n’est doublée. Mais sa prestation qui est un peu longuette, n’a que peu d’intérêt. De surcroît cela n’amène pas grand-chose à l’intrigue. Faut-il y voir une apologie à la vie saine et sportive en montagne, de type La Lumière bleue de Leni Riefenstahl (même année 1933) ?

Ce qui suit est le gros morceau de l’histoire de cette Chère Famille.

Le puissant financier Carl Barcklind est heureux d’avoir trois filles. Deux d’entre elles semblent avoir fait un beau mariage.

Le père de famille compte ainsi, à la troisième personne  :

« Quand papa a eu son premier million, sa petite Thyra a marié un consul, quand il a eu son deuxième million, j’ai eu comme gendre un baron, et maintenant que j’arrive à mes trois millions, je veux un nouveau gendre qui soit à la hauteur de ma plus grande fortune » 

Et donc maintenant il vise un comte (plus haut qu’un baron).

Revenons à la baronnesse Tutta Rolf Berntzen de 26 ans, est à la fois la fille la plus attachante et la plus problématique. Elle n’hésite pas à affronter son père, dont elle reste la préférée.

Elle se révélera souvent plus maline que lui, mais avec infiniment de gentillesse. Son problème à elle est qu’elle a épousé un Baron viveur, chez qui l’argent coule entre les doigts. Elle l’aime profondément, lui pardonne tout et participe même de gaîté de cœur à toutes ses « expériences ».

Mais ce désœuvré de 43 ans est foncièrement incapable de travailler. Comme l’était l’ancienne noblesse, mais lui est plus drôle, moins méprisant et bien plus vivant. Il fait vivoter son foyer grâce aux perfusions de pognon du vieux Carl. Lequel adore son gendre, sa joie de vivre, ses bons mots et sa manière d’entortiller l’entourage. Pourtant le vieux roublard empathique résiste de plus en plus à lui fournir des vivres. Il espérait nourrir des projets du couple susceptibles de le rendre autonome. Mais cela ne marche jamais. Il doit toujours les renflouer.

Ainsi le « château » du couple frivole est hypothéqué. Et les produits du fermage n’arrivent pas à combler le trou. Pourtant, il se flatte d’aimer profondément ce style de vie terrien, allant presque jusqu’à baiser le cul des vaches. Mais au fond au-delà de ce romantisme de pacotille, il n’y entrave que couic.

Ce qui n’empêche pas que derrière la façade, il y a un piètre gestionnaire, qui se fout « royalement » du profit. Une espèce en voie de disparition.

La situation financière est désespérée, ce qui ne l’alarme pas outre mesure. Comment dit-on Inch Allah en suédois ?

A noter que ce baron Gösta Ekman, en tant que « dominant », très typé « vieille Suède » (sur la musique de « très vieille France »), sait divertir les convives de son milieu, avec sa faconde et ses chants. Et comme dit, et répété, il n’est pas du tout doué pour les affaires. Il a beau y faire ce n’est pas de « son monde ».

Rien de ce qu’entreprend Gösta ne lui réussit, pourtant les démarches entreprises sont variées : de l’agricole, puis de la restauration et enfin une boite de nuit débridée. Et au final, son beau-père préférera le payer à ne rien faire, pour solde de tout compte.

Le fringant demi-jeune à monocle porte beau et séduit par son apparence et ses manières. Ce qui fait qu’il n’est mauvais, dans son dernier métier de Prince de la nuit et des menus plaisirs. Il vole au secours de ses contemporains blasés et friqués. Il sait distraire en se montrant limite.

Confer son « vous êtes le meilleur public que je n’ai jamais eu… vous m’avez cru ? Pourtant je répète la même chose tous les soirs… ahaha ! » – le ahaha est difficile à retranscrire par l’écrit sans faire de longues phrases. C’est une sorte de rire rentrée, supposé être destiné à soi-même, mais aussi, juste ce qu’il faut, aux autres qui devraient rire de ce semblant d’autodérision de classe. Vous me suivez ? C’est un avatar du distant monocle, mais dérivé en vibrations savantes des cordes vocales.

Dans cet antre du vice, genre années folles, la morale n’est pas sauve. Le très tolérant beau-père y fera une visite. Passagèrement outré, il finira par s’opposer à ce seul projet apparemment viable.

A l’écran, Gösta Ekman est donc le mari de la pétillante Tutta Rolf Berntzen, 26 ans. Une femme « moderne » voire « libérée » du début des années 30, dont j’ai déjà beaucoup parlé. J’en étais amoureux quand elle avant 25 ans. C’était peu après la naissance de ma mère, hum! La jeunette primesautière aurait 115 ans aujourd’hui.

Comme son baron de mari, elle aussi prend la lumière. Elle tend à éclipser toutes les autres femmes. Ma chère Tutta est née à Kristiania (Oslo). Elle est donc de nationalité norvégienne. Mais elle a été totalement adoptée par la Suède, au point d’être considérée comme Suédoise à part entière.

Lorsqu’elle se produit sur la scène de leur cabaret/antre-du-vice, elle fait une très acceptable Marlene Dietrich version Ange bleu (film, 1930). On dirait même que trois ans après la version Marlene, elle en a copié le style.

Et plusieurs vieux messieurs débordés par la débauche, semblent s’y perdre et donnent dans le Emil Jannings / professor Unrat.

Mais il y a aussi des histoires B :

Comme pour ce gendre bedonnant et coincé, le Consul joué par Thor Modéen. Mais grâce aux impulsions intéressées du comte Gösta Ekman, il finira par adopter cette philosophie de la joie de vivre en toutes circonstances. Il poussera le bouchon très loin puisqu’on le voit flirter avec une gamine visiblement mineure, dans ce cabaret débridé. Hum !

Un autre couple est en formation, celui de la troisième fille Dora Carlsten. La plus effacée, mais qui selon les calculs de son père vaut « trois millions ». Les parents attendent un mariage de raison avec ce comte Georg Rydeberg, plein de tics, en ligne de mire. Vu comme la caméra le traite, il y a peu de chance qu’il ressorte en vainqueur. Et Dora fait jouer la jalousie, pour mettre à l’épreuve la vraie cible de ses envies, le lieutenant tout propret Åke Jensen. Et comme de bien entendu, le happy-end consacrera ce dernier choix. Mouais. Pas trop intéressant car trop conforme à la doxa du cinéma.

Seule échappée aux conventions, le fait que ce comte Georg Rydeberg soit moins bête qu’il n’y paraît. Il a une lésion avec la belle Ruth Stevens, à qui il s’est hasardé à promettre le mariage.

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La première « morale » de l’histoire, c’est qu’il vaut mieux avoir de parents riches. Sans cela les deux morales suivantes ne peuvent exister.

La deuxième leçon est faite pour les gentils, il s’agit de faire confiance à l’amour et la décontraction. Du genre « dans la vie faut pas s’en faire… ».

En 1933 cette prime à l’insouciance a de quoi inquiéter. Ne pas oublier cette fatidique pour la prise de pouvoir nazisme chez les Aryens (dont les Suédois ?).

Il existe une troisième « morale », d’ailleurs assez récurrente dans les films de Molander / Tutta Rolf. L’immanquablement, l’argent désiré arrive toujours, que ce soit par la bourse, un héritage ou autre combine. Pas de raison de travailler, le fric sans se fatiguer serait un Mammon toujours accessible.Ruth Stevens 

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La Suède est caractérisée par sa politique de neutralité pendant la dernière guerre. Mais en réalité elle a fait des concessions à l’Allemagne nazie.

Et on ne connaît pas grand-chose de son avant-guerre. On parle pourtant de racisme scientifique ou biologie raciale, comme le montre la création dès 1922, d’un institut de biologie raciale. Les « recherches » de cet établissement public visaient à faire des liens entre les races et la criminalité, l’alcoolisme, et les pathologies mentales… En 1934 il y a eu une loi pour la stérilisation forcée.

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Il faudrait lire in extenso « The Visible Wall: Jews and Other Ethnic Outsiders in Swedish Film » de Rochelle Wright 1998.

  • « L’auteur propose un aperçu historique et une analyse de la manière dont les Juifs et d’autres groupes ethniques étrangers ont été représentés dans le cinéma suédois de 1930 à nos jours. Son approche interdisciplinaire des questions liées à l’ethnicité et à l’identité utilise la méthodologie des historiens et des sociologues. »

Laissons s’exprimer Rochelle Wright :

  • « Ludwig (Edvin Adolphson) marchande avec Friis (CarlBarcklind). Les gestes et les manières « non suédoises » de Ludwig, alors qu’il se penche par-dessus le bureau en agitant les papiers à Friis, soulignent son statut d’étranger ; de même, la ligne tombante des tulipes à gauche du cadre attire l’attention à la fois sur la posture de Ludwig et sur la forme de son nez, et donc sur son identité ethnique. »
  • « Le seul personnage important du film qui ne fait pas partie de cette constellation des parents, est le directeur Ludwig (Edvin Adolphson), identifié dans le scénario comme un “privatdiskontör” (discounter privé). Les quatre scènes dans lesquelles il apparaît commentent et contrastent avec l’intrigue principale. Le fait que Ludwig soit juif attire l’attention et souligne son statut d’étranger.
  • Son identité ethnique n’est pas déclarée ouvertement mais est néanmoins immédiatement transmise au public. Bien que son suédois, comme celui de Josephson à Söderkåkar, soit sans accent, son apparence physique est reconnaissable sémitique : il a des cheveux noirs et bouclés et un nez crochu. Ses manières, comme celles de Mosesson dans Trötte Teodor, ne sont absolument pas suédoises.
  • Ludwig est d’abord vu penché sur le bureau de Friis, les épaules voûtées, gesticulant sauvagement, balbutiant, puis parlant à un rythme effréné tandis que ses traits se tordent de manière exagérée et grotesque. Sa profession – il est prêteur d’argent et spéculateur financier – est traditionnellement associée aux Juifs. Pour renforcer encore son appartenance ethnique, il se désigne dans son premier discours par son nom complet : Ruben Nathan Isaaker Ludwig. »

***

«  Molander condamna avec courage et fermeté le totalitarisme nazi » nous dit-on. Pourtant il figure, pour Intermezzo de 1936, dans les longs métrages allemands créés sous le Troisième Reich… mais c’est un film suédois où joue Ingrid Bergman. C’est çà n’y rien comprendre.

https://sv.wikipedia.org/wiki/K%C3%A4ra_sl%C3%A4kten

https://www.svenskfilmdatabas.se/sv/item/?type=film&itemid=3741

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustaf_Molander

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A8re_Famille

https://fr.wikipedia.org/wiki/Georg_Rydeberg

https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%B6sta_Ekman_(1890-1938)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Su%C3%A8de_pendant_la_Seconde_Guerre_mondiale

https://www.persee.fr/doc/revss_0336-1578_1977_hos_1_1_3625

https://fr.wikipedia.org/wiki/Leni_Riefenstahl

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