Cléo de 5 à 7. Jeu et destin. Enfer, c’est les autres. Discours sur méthode. 8/10

Temps de lecture : 4 minutes

Exposé en trois belles parties, qui n’épuisent pas le sujet :

  1. Cléo de 5 à 7. Annonciation, Cancer. Explication philosophique. Film bouleversant
  2. Cléo de 5 à 7. Jeu et destin. Enfer, c’est les autres. Discours sur méthode. (vous êtes ici)
  3. Cléo de 5 à 7. Varda, Amour des acteurs. Corinne Marchand, Femme, Force du destin.

La méthode.

Ce Cléo de 5 à 7 date de 1962. Il est incroyablement novateur. Il serait presque bête de le ramener à la Nouvelle Vague, même si Varda le prétend. Ce n’est pas une forme dérivée parmi d’autres, mais une œuvre indépendante et qui s’extirpe de la masse, au-delà de toute école et de mouvement. Si je dois rapprocher ce film d’une tendance, c’est celle du Cubisme, teinté d’Expressionnisme allemand.

Je m’explique. La prise de vue très intelligente s’opère dans un multivers psychologique. Des mondes cohabitent et s’entrechoquent.

Si des rencontres cherchent à la distraire, elle est vite ailleurs et ne suit pas que ce fil imposé. Elle s’en échappe au gré du vent.

Des monde parallèles s’insinuent, sous la forme de discussions de tables voisines qui prennent le dessus, par vagues.

Mais il y a aussi des allers-retours multidirectionnels, qui nous donnent à voir toutes les « possibles » des intérieurs… L’agitation est incessante et voulue, mais ce n’est pas le désordre, bien au contraire. Ce sont des jets de dés qui pourraient permettre, dans l’idéal, de changer la donne.

Ainsi la réalisatrice réussit à mettre une héroïne au centre mais tout en l’immergeant dans un tas d’autres vies à ses côtés. Un relativisme pour une fois bienvenu.

Jouer son destin.

L’importance de la dimension du « jeu » est clairement indiquée, dès la scène initiale. Une brillante séance de tarot divinatoire, où les cartes sont remises en jeu, par une deuxième donne complémentaire.

L’avenir ne tient qu’à un fil. Mais la « prêtresse » officiante avoue ses limites à « créer » les conditions d’une autre chance. Elle refuse de lire dans ses mains.

Là encore la réalité avec tous ses degrés de liberté possibles, s’entrechoque on ne peut plus nettement avec la rigidité des fils tissés par les Parques ; ces maîtresses qui sont à la base de toutes les destinées humaines. « Tout est écrit dans le ciel », mais quand même, on pourrait donner un coup de pouce au destin.

Le fait que Cléo change en permanence de milieu et de scènes, est une autre facette de cette envie de nouvelles « donnes ».

A présent Cléo est morcelée. Elle fait son bilan pour tenter de remettre en place ce qui est épars. Elle met un disque d’elle-même dans le juke-box et constate que personne n’écoute. Au-delà des faits et du rationnel, elle pense qu’il y a tout autour d’elle des signes, qu’elle doit pouvoir interpréter. Elle y croit et elle n’y croit pas en même temps.

Pourtant, elle ne veut pas être entraînée dans une superstition qui serait toujours négative. C’est pourquoi elle rejette franchement les tabous d’Angèle, son assistante.

Dominique Davray/Angèle est une « gouvernante » dont la vie est « gouvernée » par des rites ultra-codifiés. Elle ne parle que par maximes. Et donc son discours n’a pas plus d’importance en soi qu’un texte fait par ChatGPT. C’est juste un remplissage autre signification que d’occuper un vide menaçant.

Angèle se méfie du mauvais sort. Elle est horrifiée à l’idée de porter le mardi un vêtement neuf. Quoi de plus ridicule, de plus insensé et pourtant de plus rassurant, que cette vie totalement guidée par des rituels.

Cancer : l’enfer c’est les autres ?

Cet extrait de la pièce Huis clos de Jean-Paul Sartre a eu son heure de gloire. Un peu comme pour le Le Choc des civilisations de Huntington, les lecteurs pressés ne se sont arrêtés qu’au titre et s’empressent d’en tirer des conclusions ; le plus souvent fausses d’ailleurs.

Les autres ne sont ici ni un enfer ni un paradis, mais plutôt un purgatoire. Sans doute que nos prochains, ne servent qu’à mesurer la distance réelle entre son vécu fatal, son ressenti et ceux des autres.

Au fond, passées les phrases de circonstance, chacun est amené à vaquer à ses préoccupations. Et c’est bien normal. Et quand ils nous demandent de nous « battre » ou de relativiser, ou d’attendre ce qui pourrait se révéler de bonnes nouvelles au final, c’est juste qu’ils cherchent à écarter ces ombres. Ils ne veulent pas être « contaminés » avec cela.

Mais cette relative indifférence est une leçon dont on ne peut avoir une pleine conscience que dans ces crises profondes. Ce n’est pas plus un mal que le serait un excès d’empathie.

Elle croise Dorothée Blanck, une amie à qui elle peut dire ce qui se passe. Mais qui elle même à son propre chemin.

Et donc elle a fait le tour de ses fréquentations. Et personne ne peut lui apporter la solution espérée.

Et c’est là qu’elle rencontre ce permissionnaire dans un parc où elle se recueille. C’est à priori un être commun si ordinaire. Et pourtant il vit dans un monde poétique sensible et savant Pour lui Cléo c’est Cléopâtre. Et si c’est Florence, alors c’est la grande Toscane de la Renaissance. Lui, il possède une clé et elle est assez finaude pour le comprendre.

  1. Cléo de 5 à 7. Annonciation, Cancer. Explication philosophique. Film bouleversant
  2. Cléo de 5 à 7. Jeu et destin. Enfer, c’est les autres. Discours sur méthode. (vous êtes ici)
  3. Cléo de 5 à 7. Varda, Amour des acteurs. Corinne Marchand, Femme, Force du destin.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cl%C3%A9o_de_5_%C3%A0_7

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