Dead man. Jarmusch. Gary Farmer, Johnny Depp, Mili Avital. Road-movie à cheval et à vapeur. 8/10

Temps de lecture : 4 minutes

Chic un Jarmusch que je n’avais pas encore vu !

Ce long-métrage s’inscrit dans un courant d’émancipation du genre Western. Confer ce lien explicatif : Western émancipation. Méchant sauvage, gentil Indien, mystérieux messager

Dead Man est une sorte de pensée magique autoréalisatrice. C’est une tradition quand le cinéma traite des Indiens de western. Le film date de 1995, c’est à dire qu’il a presque 30 ans. Et pourtant il a gardé toute sa fraîcheur mais ces tics d’écriture sont à présent plus apparents.

***

En 1870, il n’est pas si rare que cela de s’appeler William Blake (Johnny Depp) – Pourtant ce nom résonne dans la tête d’un Indien qui passe par là. Cet homme de stature imposante, a eu une parcours hors du commun, qui l’a fait circuler dans le monde « civilisé ». Il n’y a pas fait d’études universitaires. Bien au contraire, il était montré comme une sorte de singe un peu évolué, dans ces zoos humains de l’époque. Mais il a été conquis néanmoins par la poésie élitiste de ce William Blake (mort depuis 1827) – Cet artiste touchait à tout avec bonheur, certains le connaissent mieux comme peintre de l’étrangeté.

Gary Farmer est cet autochtone. Et il correspond assez bien au rôle étant un authentique cayuga et un universitaire. Dans ce scénario il préfère qu’on l’appelle Nobody plutôt que son nom « scout » de « celui qui parle trop et raconte n’importe quoi » ou plus exactement : «  Xebeche, celui qui parle fort pour ne rien dire » – Ce qui s’avère en grande partie vrai.


Mais rembobinons l’histoire (le film est fait dans un vrai négatif noir et blanc et donc l’expression est toujours valable) :

Johnny Depp (22 ans !) traverse toute l’Amérique avec en poche un certificat d’embauche. Il rejoint la bourgade assez primitive de « Machine » située pas mal à l’Ouest. Mais il arrive après deux mois. Et donc son emploi de comptable dans cette grosse entreprise qui traite les métaux est occupée.

Ce petit gars assez chétif, prend son courage à deux mains pour aller demander des explications au patron Robert Mitchum. Excusez du peu ! Ce vieil homme (encore deux ans à vivre), de forte personnalité fout dehors l’impétrant.

Notre godelureau va dépenser ce qui lui reste dans un saloon. Et quand il sort il voit une jolie petite vendeuse de fleurs en papier se faire expulser ; le gaillard qui la vire lui disant « qu’elle était plus utile quand elle était une pute ». Ce qui n’effraie pas notre Johnny. Au contraire il sympathise avec cette jeune femme jouée par Mili Avital et finit au lit avec cette créature de rêve (aussi mannequin israélien dans la vraie vie).

L’ancien amant de la donzelle entre dans la chambre d’amour profanée par Johnny. S’en suit un carnage l’amant et l’amante étant zigouillés lors des tirs. Johnny n’est pas si responsable que cela. Mais avec une lecture simplifiée de la scène de crime on peut croire que c’est lui l’auteur. Mitchum est le père du défunt, il confie derechef à trois bandits de premier plan, la traque de notre jeune acteur.

Tout le film désormais concerne cette chasse à l’homme…. et une curieuse recherche de tabac codée. Depp figure un jeune rond de cuir totalement inexpérimenté. Grâce au quiproquos littéraire, l’Indien Gary Farmer va protéger le jeune homme perdu.

Sa tête est mise à prix, et comme il y a encore de la casse. La prime augmente régulièrement et Johnny passe pour un dangereux bandit.

En filigrane, notre héros fait ses classes. A la fois à la gâchette et dans une sorte de parcours initiatique. On a donc une sorte de road-movie à cheval.

L’ambiance est donc partagée. D’un côté on est confronté aux dures réalités de la violence, des coups de feu, de la précarité et de la faim. Et de l’autre ces sont des envolées métaphysiques dont on ne sait pas trop la consistance. S’agit-il de blabla de Xebeche ? Ou bien les monologues d’aspect mystique, sont-ils réellement de grande portée ? Le tout est égayé d’anecdotes savoureuses, comme pour la fornication interrompue du gros Farmer avec une squaw.

Il est question d’un ultime voyage sur l’eau, dont on ne sait pas précisément s’il s’agit d’une élévation spirituelle suprême ou du passage du Styx.

Il y a bien quelques messagers plantés ici ou là qui semblent en dire pas mal. Comme le gars dans le train, tout au début. Il ne sait pas lire mais il recommande vivement à notre jeune voyageur de laisser tomber cette proposition d’emploi de Mitchum. Bien qu’il ne connaisse pas les protagonistes. C’est donc du fifty-fifty. Soit le film accepte une certaine verve divinatoire, soit il se moque (plus probable).

La plupart des scènes sont des numéros d’équilibriste. La balle de match peut tomber d’un côté ou l’autre du filet. On connaît cela avec Match Point de Woody Allen (2005). On est donc dans une franche incertitude d’un bout à l’autre et ceci contribue à l’intérêt de ce film « non déterminé ».

C’est très beau, très visuel, très bien filmé et remarquablement interprété. En particulier en ce qui concerne Depp, ce très jeune talent, déjà si convainquant. Et l’ambiance, enrichie par de multiples “gueules”, est vraiment prenante. On ne sait jamais vraiment ce que ces êtres patibulaires vont faire. Manger le bras cuit de leur partenaire ?

Mais je regrette un peu que cela ne soit pas tourné en couleur. Pour une fois cela aurait pu rajouté du cachet. Mais Jim Jarmusch est encore confiant dans ce « trip » cinématographique qui vise l’épure et se complaît donc dans le noir et blanc. Il faut en effet le remercier d’avoir réalisé de grandes œuvres bitonales, comme Stranger Than Paradise de 1984 et Down by Law de 1986.

Petit bémol pour les constructions indiennes qui sont tellement d’équerre qu’elles sont à l’évidence faites par des charpentiers récents, et qui ont à cœur de faire un boulot (trop) parfait.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dead_Man

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gary_Farmer

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mili_Avital

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jim_Jarmusch

https://fr.wikipedia.org/wiki/D._H._Lawrence

http://gutenberg.net.au/ebooks03/0300021h.html pdf gratuit mais en anglais du grand livre de D H Lawrence – le Serpent à plume. Livre remarquable qui n’a même pas une page wikipedia francophone. C’est navrant !

https://fr.wikipedia.org/wiki/Little_Big_Man

https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Blake

https://fr.wikipedia.org/wiki/Match_Point

http://abardel.free.fr/petite_anthologie/le_bateau_ivre_panorama.htm

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