Easy Rider. Existentialisme. Initiation. Hopper, Fonda, Nicholson, Steppenwolf. 8/10

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Deux films générationnels ont permis à la jeunesse de l’époque, de découvrir un nouvel existentialisme. Et par essence, ce courant philosophique, qui met au centre l’individu, n’a pas besoin d’être théorisé. Il suffit de le vivre ou de le reconnaître autour de soi, pour s’en approcher. La jeunesse, plus proche de l’expérience que des doctrines, s’y reconnaît tout particulièrement.

« Qu’il est long, qu’il est loin ton chemin, papa. C’est vraiment fatigant d’aller où tu vas ».

  • En 1967, Le Lauréat avait ouvert le bal, avec tambours et trompettes ; face à un monde qui a perdu tous sens, l’amour était la solution.
  • En 1969, Easy Rider continue sur cette lancée en étant plus âpre et sans happy-end ; face à un quasi « no future », le chemin choisi ici s’avérera le but en soi.

Dennis Hopper réalise le film. Il joue un Papageno insouciant qui profite pleinement des joies simples de ce monde, sans se poser de questions. La félicité initiatique lui est interdite.

La scène chez les hippies “free love“, où il est rejeté du cercle, montre qu’il ne pourra jamais s’élever car voulant juste s’amuser, il est incapable de s’affranchir des contingences. Il a beau frapper, il restera à la porte. Pourtant comme dans la Flûte enchantée, ce faire-valoir heureux, est indispensable à l’accomplissement de la noble destinée de son compagnon.

  • C’est courageux de la part d’un acteur, qui a la maîtrise de la mise en scène, de s’adjuger une fonction où il ne brille pas spécialement. Cependant il est parfaitement à sa place, n’en déplaise au pathétique doublage de la version française.

Peter Fonda est clairement le prince Tamino, qui après avoir parcouru le cabinet de réflexion dans toutes les directions, lève les yeux au ciel pour chercher la lumière. Lui, a la permission de rentrer dans le temple, mais ses yeux restent encore bandés. Il sera sensible à la belle simplicité d’un retour à la terre dans cette ferme œcuménique et constituée de sangs mêlés. C’est sa Flache à lui. Le rituel religieux du partage le touchera.

Vers la fin, il se remet en question : « nous n’avons pas choisi le bon chemin ».

  • J’avoue avoir eu du mal à comprendre pendant longtemps l’importance du rôle de Fonda. Il me paraissait froid et je n’avais pas trop envie de creuser le personnage. Des décennies plus tard, je pense avoir percer l’arrmure.

Jack Nicholson semble figurer le « straight », comme on disait à l’époque, mais en réalité il est dans un entre deux. Lui aussi a un objectif dans la vie. Soit de s’en mettre jusque là comme Hopper, soit de viser plus haut dans les états de conscience, comme Fonda. Son On peut faire confiance à ce comédien, même s’il s’est faufilé dans un film inhabituel.

Nicholson est passionné par les extra-terrestres qui infiltreraient toute notre société. Sans qu’on sache vraiment s’il y croit à ces Vénusiens, ou s’il cherche juste à capter son auditoire, en pratiquant la pensée paradoxale.

Dans sa nouvelle démarche, perché sur le siège arrière d’une moto, il entreprend quand même de s’évader du récit ordinaire et des conventions villageoises. N’y étant pas parvenu jusqu’ici, il s’est réfugié dans l’alcool à haute dose. Ce « même pas saoul » montrant les ravages du long terme. Ce jeune avocat est cependant lucide sur bien d’autres points. Il va pratiquer le en même temps, en étant d’une part bien ancré dans ce monde commun des alcoolisés et tâtant de celui des drogues douces, qui touche des personnes bien différentes.

***

Bien entendu ou pourrait tenter de faire entrer ce film-chameau dans le chas de l’aiguille Road-movie. Mais ce n’est pas lui rendre service que de vouloir le circonscrire ainsi.

Très impliqués, Peter Fonda et Dennis Hopper participent aussi au scénario. L’idée de base serait due au Dino Risi du Fanfaron, avec cet autre binôme de Wanderers mythiques, Vittorio Gassman et Jean-Louis Trintignant. Je veux bien croire à cette paternité, même si Hopper l’a contesté par la suite.

La bande son est considérable et elle accompagne les pérégrinations de nos deux héros. C’est très bien pensé et cela participe à cette approche fusionnelle, avec la jeunesse libertaire de l’époque. A signaler Steppenwolf,The Byrds, Jimi Hendrix…

La drogue joue un rôle notable. Mais c’est par un avertissement clair que démarre le film : God damn The Pusher. C’est pourtant un trafic de cocaïne, combiné avec Phil Spector, qui finance le voyage. Et ce sont ces expérimentations rituelles qui ouvriront ou non de nouveaux horizons. A cet égard la scène au LSD du cimetière est particulièrement forte et sans concessions. Même les prostituées, dont Karen Black, y participent ; montrant ainsi une quasi totale abolition des barrières. Les portes de la perception ne pratiquent pas le tri.

  • Ce « voyage » du microcosme au macrocosme est une montagne russe, avec des envolées célestes et de lourds retours sur terre. On échappe à cette guimauve « psychédélique », qu’on nous sert habituellement.
  • Cette « vision » doit sans doute beaucoup aux propres expérimentations des auteurs – acteurs.
  • La mise à nue des personnalités, avec l’exhumation de l’inconscient de travers familiaux conflictuels, est assez bouleversante. En particulier quand Fonda s’adresse à sa mère dans ce « voyage ». Et surtout lorsqu’on sait que sa propre mère dans la vraie vie, s’est suicidée.

On rencontre plein de Pharisiens, qui veulent remettre nos freaks dans le droit chemin. Ils n’ont comme idées que de les corriger violemment et de réduire à néant la force symbolique de leur abondante tignasse. La Liberté leur fait peur, c’est dit ainsi.

Peter, ce messie, sera tiré comme un lapin, achevant ainsi son périple christique sur terre. Son règne ne fait que de commencer. Et près de 60 ans après, à travers l’écran, il continue encore à nous interpeler. Il nous pose ces questions fondamentales, auxquelles personne ne peut vraiment répondre. La vérité n’étant jamais révélée, vue qu’elle n’est ni au bout de l’aventure, ni au ciel, mais dans le chemin ; qu’on trace son sillon en chopper ou pas.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Laur%C3%A9at

https://fr.wikipedia.org/wiki/Easy_Rider

https://en.wikipedia.org/wiki/Easy_Rider

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Fanfaron

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