Hannah et ses sœurs. Avis sociologique. Amour et destinée. 8/10

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Le film de Woody Allen, Hannah et ses sœurs est à la fois plus simple et bien plus complexe qu’on ne le pense.

Plus simple, parce qu’il existe une possible lecture tranquille et sans prise de tête de cette œuvre. Il suffit de se mettre confortablement dans un fauteuil pour observer cet aquarium dans lequel s’agite ces personnes en mal d’amour et qui ne sont pas nous. C’est alors le beau spectacle du bal de ces étranges poissons chasseurs, qui sont bien différents les uns des autres. Bienfait de l’exotisme de salon.

Mais c’est aussi un travail plus compliqué qu’il n’y paraît lors d’une première lecture.

En effet, fondamentalement chez ce Woody Allen torturé, il a toujours l’obsédante question du meaning of life, du sens de la vie. Pas comme une distraction de philosophe, mais comme un élément central qui peut totalement bousculé notre vie, selon le regard qu’on y porte. C’est du sérieux. Et en fait il n’y a rien de plus sérieux que ces interrogations… et rien de plus vain, si l’on considère qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante.

Que ça soit dans le film Le Sens de la vie des Monty Python ou bien dans cette révélation qui apparaît à Woody Allen au bout d’un long parcours, en visionnant un film de Marx Brothers (parents mulhousiens !), la solution à cette question d’apparence insoluble, ne peut être que l’humour et la dérision.

Autre composante philosophique du film : qu’est-ce que l’amour pour nous exactement ?

Dans ce New York décontracté et désinhibé de 1986, l’amour qui est désormais recherché frénétiquement, ce n’est plus celui qui mène à l’idéal des parents rangés. Non, il flotte dans l’air des envies d’intensité maximum. Dans le film tout le monde ou presque est touché.

Sauf bien entendu Hannah / Mia Farrow qui est avant tout une maman, très satisfaite de l’équilibre des choses et qui pense être dans la configuration du couple idéal. Les autres, dont son nouveau mari Michael Caine, aspirent à toujours plus.

Et contrairement à l’insaisissable Sens de la vie, le sens vertigineux de l’amour existe bel et bien. Et il impose qu’on se fixe le but d’atteindre des sommets.

Et donc chacune des sœurs, sauf Hannah qui est sur son plateau, veut éprouver cela.

Mais cette quête éperdue, n’empêche pas que les femmes trouvent dans au sommet de cet élan paroxystique, d’une sorte d’union parfaite qui rejoint l’idéal féminin commun. Avec un petit quelque chose en plus de l’idéal de la maternité heureuse.

Et dans le cas de Woody Allen jugé infertile alors qu’il était le premier mari de Mia Farrow, une habile pirouette fera qu’au bout du compte il procréera avec la plus improbable des sœurs Dianne Wiest. Le message géniteur/génital est clair.

La différence fondamentale de cette recherche amoureuse chez les hommes et qu’elle est avant tout associée à la jouissance, qui est le même peut-être cultivée et atteindre des paroxysmes.

Il n’est pas question ici que l’homme ne devienne qu’un reproducteur docile ou bien qu’il soit empêché de rêver ou de fantasmer ou bien enfin qu’il soit tout entier circonscrit dans la monogamie.

Ce n’est pas le but et ce n’est pas sa vocation. Il reste volage de par sa nature qui « sème à tous vents ». Et donc lui aussi à sa manière cherche toujours plus et mieux. Et au bout du compte en dehors du cas inflexible d’Hannah, se créent de multiples combinaisons, toutes destinées à améliorer les couples. Cette nouvelle génération peut se le permettre puisqu’elle utilise largement la contraception et qu’elle est de plus en plus désinhibée question sexe. L’un allant avec l’autre.

Il y a une course effrénée pour trouver le mode d’emploi de ces nouvelles libertés. Au final cela reste très sérieux, en tout cas chez Woody Allen. Ce n’est pas l’hédonisme pur qui l’emporte mais une sorte d’optimisation par tâtonnements, par feeling, par projection, par anticipation. Ne cherchez pas ici des mâles toxiques, ce n’est pas le propos, ni même des dom Juan.

Une des sœurs, Dianne Wiest, est une autre image de l’incertitude foncière de nos destinées. Elle démarre très mal et la plupart d’entre nous pensent que cette droguée logorrhéique et paranoïaque et apparemment sans talent, est vouée à l’échec. Mais c’est mal connaître Woody qui veut en permanence rebattre les cartes. Aragon annonce comme une défaite que « Rien n’est jamais acquis ». Certes mais cela marche aussi dans l’autre sens, du malheur vers le bonheur. Et il y a des amours heureuses.

La morale dans tout ça, c’est sans doute que la personne la plus morale Hannah est la moins intéressante, dans ce jeu amoureux à fort potentiel. Elle-même a trouvé sa place assez rapidement. Mais ceci n’empêche pas, que tous les satellites autour d’elle, ont un besoin vital d’explorer d’autres possibles.

Des personnes craintives, à la recherche de sécurité autant que d’absolu, penseront sans doute le contraire. Ils verront dans cette Hannah la forme ultime et aboutie de l’amour. Mais le film dit élégamment tout le contraire.

Même si Hannah maintient au bercail Michael Caine. Lui a été très loin dans la passion, en ayant des relations en cachette avec sa sœur pulpeuse Barbara Hershey. Et si in fine, il revient vers Hannah, c’est d’une part parce qu’il a toujours pensé qu’elle était un excellent choix, mais aussi parce que la porte qu’il a ouverte à l’extérieur s’est refermée. Il n’a plus le choix. Il n’y a aucune lâcheté là-dedans, c’est juste un repli stratégique vers une bonne solution. D’ailleurs il le dit. Avec la sœur d’ Hannah, Barbara, il a sans doute fait une bêtise, une trop grande prise de risque. Mais à ce moment, la passion pour « l’objet » extérieur était telle qu’il ne pouvait totalement se convaincre du contraire. Cette ambivalence calculatrice existe chacun d’entre nous. Et donc ne nous moquons pas de son chemin à lui, qui pourrait être le notre.

Woody Allen combat férocement cette idée d’une prédestination amoureuse, d’un amour absolu de personnes faites définitivement l’une pour l’autre. Il sait bien que les unions sont très tributaires des aléas, des époques, des lieux, de la conjoncture. La rencontre avec une personne vue un jour, n’est pas forcément celle qui nous est destinée, pas plus ni moins que celle du lendemain, pas plus ni moins que celle de la porte d’à côté.

Il y a toujours quelque part au fond de la tête du réalisateur scnéraiste, cette idée que le hasard est une des plus grandes forces de nos destinés. C’est le Match Point avec cette balle qui peut tomber d’un côté ou l’autre du filet et tout changer bien plus fortement que les battements d’aile des papillons.

En nous remettant sous le nez cette vérité assez classique, il efface d’un trait des milliers de films prétendument romantiques et qui ne font que flatter un déterminisme sommaire, qui guiderait le sort des êtres. « Elle est faite pour moi, je suis fait pour lui, enfin on se rencontre, on s’aimera pour la vie ». Le rideau tombe, le mot fin arrive sur l’écran… mais quand sera-t-il quelques mois ou quelques années plus tard, ou bien simplement une fois l’acte accompli et qu’on est rassasié. Post coïtum…

Je vous propose maintenant quelque chose de tout aussi passionnant, le jusqu’au-boutisme de Woody Allen quant à la mort et le néant.

La suite est ici : hannah-et-ses-soeurs-avis-philosophique-la-mort-et-au-dela

Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hannah_et_ses_s%C5%93urs

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