Il faut sauver le soldat Ryan (Saving Private Ryan) (1998) 8.5/10

Temps de lecture : 8 minutes

Un film immense !

Désolé d’être personnel, mais je dois dire en préambule que je n’aime pas les films de guerre. C’est pourquoi il m’a fallu presque un quart de siècle avant que j’ose voir celui-là.

Spielberg peut passer pour un cinéaste grand public, par certaines œuvres, comme Les Dents de la mer, Indiana Jones, E.T., Jurassic Park. Ce qui n’exclut pas le talent.

Mais ici, il fait dans le très haut de gamme, ce qui n’empêche pas des accommodements avec les attentes du plus grand nombre.

Il nous donne à voir la plus remarquable immersion qu’il n’y ait jamais eu dans ce que fut le débarquement du 6 juin 1940 (j’écris ces lignes un 6 juin !) – Il fait tout aussi bien, pour la formidable bataille de rue qui clôt le film et bien d’autres scènes.

Tout cet ensemble forme un chef-d’œuvre de modernité. Ces nouvelles façons de voir auraient pu servir de matrices génératives pour tous les films de guerre qui devaient suivre. Et pourtant plus de 20 ans après, on ne peut que constater que cette pièce d’anthologie n’a jamais été égalée. Et personne n’a pu relever le défi de la virtuosité.

Cette incontestable réussite tient autant dans le fond que dans la forme.

La prise de vue est tout bonnement remarquable. Les mouvements de la caméra nous parlent à chaque instant.

Dès ce début foudroyant sur les côtes normandes, l’image fourmille d’idées. Et cela ne cessera jamais.

Ici ou là, des scènes de morts et de mutilations sont montrées sans complaisance. Mais leur fugacité leur donne une certaine « discrétion », tout en faisant monter « naturellement » la pression.

Un soldat ramasse avec sa main valide, son bras coupé, en courant. C’est chronométré à la milliseconde. Du coup on se demande si l’on a bien vu et ce que cela peut bien dire. Pas le temps, on passe à un autre angle, sur d’autres désastres potentiels ou réels. Une tête est « explosée ». Untel tente de maintenir ses viscères qui se font la malle…

Les plans tantôt éloignés, tantôt rapprochés, voire collés aux personnages, forment un puzzle mental, qui est aussi difficile à décrypter pour nous que ce ne l’étaient pour ces soldats, dans les scènes réelles, en situation d’urgence absolue. Qui donc serait capable de prendre des initiatives dans un tel chaos ? Quoi penser d’autre à part : où est la sortie ?

La prise de vue est « magnifique » ce qui est un comble quand on traite de la pire laideur. L’intelligence est partout. Le montage est prodigieux, toujours en phase avec l’émotion du moment. La « chorégraphie » est impitoyable. Les tirs passent à deux doigts de nos têtes. Même la massivité des chars est rendue avec un réalisme bouleversant. Les chenilles menaçantes roulent en plein vers nous. On les évite mais il s’en est fallu de peu.

Le spectateur est lui aussi dans le feu de l’action, et il a autre chose à faire que de s’attendrir, voire de péter les plombs devant tant d’horreurs. Il est savamment désorienté, alors que lui connaît l’issue de ces périlleuses remontées des falaises, sous le feu nourri de l’ennemi. Même en sachant cela, il ne peut que constater que la situation est fichue, que la percée est impossible. On est tombé sur le mauvais lot ?

Le film pourrait s’arrêter là, faute de combattants. Et ce serait déjà bien. Imaginez qu’on soit en effet avec la mauvaise compagnie. Ceux qui y sont restés. Le fait qu’on s’attende à tout, montre bien le talent et le travail complexe du réalisateur.

Ces soldats, peu aguerris pour la plupart, doivent simplement réagir et agir, sous peine d’y passer. Et leurs élans sacrificiels ne sont en fin de compte que des choix de survie. Si on ne passe pas, on sera détruit. Si on passe, c’est que nécessairement de nombreux camarades y ont laissé leur peau ou un membre ou je ne sais quoi. La guerre n’est jamais jolie.

Je n’ai jamais vu quelque chose qui sonne aussi juste et qui semble aussi proche de nous. On est à des années lumières de l’héroïsme convenu du genre. On pourrait presque parler de l’étrange banalité de l’héroïsme du quotidien (ne vous fâchez pas, c’est un raisonnement analogique avec la banalité du mal d’Hannah Arendt – 1963)

J’avais vu à sa sortie le Jour le plus long (The Longest Day) qui était un film référence sur le débarquement. Je me suis ennuyé : trop long, de l’héroïsme convenu et un lassant défilé de vedettes. Avec Il faut sauver le soldat Ryan on passe du niveau de la mer à la stratosphère.

Et le film multiplie ces figures imposées totalement retoilet

tées.

Comme pour ce sniper qui doit redresser la situation (ou y passer lui même) alors qu’un soldat a l’imprudence de secourir un enfant. Cette générosité est un luxe superflu qui peut coûter cher.

Un suspense au sein du film, monte progressivement. Mais qui est donc Ryan ? Est-il digne des efforts qu’on fait pour lui. Et surtout, que penser de ce « caprice » du plus haut niveau de commandement consistant à gracier le dernier des frères, le seul qui pour l’instant n’est pas mort au front. Et combien cela coûtera-t-il en hommes et en dégâts de toutes sortes ? Quoi mettre en face dans le plateau ? L’image de sa propre mère, de toutes les mères qui vont perdre un enfant ? Une belle lettre comme celle rédigée par Lincoln dans des circonstances analogues (5 frères morts!) ?

C’est à la fois une problématique bien réelle, avec des réponses difficiles, qui ont trait au prix de la vie humaine et aux questions d’honneur et de patriotisme. Mais c’est aussi un bon moyen de capter l’attention du spectateur. Il doit lui-même se positionner sur les enjeux. Rassurez-vous on l’aidera un peu lors de la résolution finale. Un bilan sera donné.

Spielberg instille une dose d’absurde de la guerre, mais sans tomber dans le dénigrement pacifiste. On fait avec c’est tout. Un mot étrange est même inventé par les soldats pour cela.

L’argumentation est partout. La guerre c’est aussi (et surtout) de longues périodes d’attente. Cela laisse le temps de penser.

Le capitaine, joué par l’admirable Tom Hanks, nous livre un de ses secrets. Pour ne pas perdre la raison, il se cramponne à une équation : chacun de ses soldats qui meurt en se battant pour la bonne cause, équivaut à dix fois plus de combattants qui sont sauvés.

Cette raison de mourir, il la mettra en pratique, alors que sa troupe rechigne à attaquer une position ennemie, qui n’est pas dans son planning. Autant contourner cette batterie inquiétante, et se contenter de suivre le but assigné « trouver Ryan », pensent les soldats.

Mais Hanks leur met sous le nez que s’ils ne font pas ce job non prévu, avec cet effet de surprise qui leur est bénéfique, d’autres pourront au contraire se faire surprendre et y passer. C’est parfaitement juste sur le papier. Mais cela signifie que certains de leur petit contingent vont quand même y passer. Un choix on ne peut plus difficile, voire impossible. Ils prennent quand même. Après tout c’est assez comminatoire.

Et comme en effet la mission superfétatoire s’accompagne de grabuge au final, un doute s’installe, qui est plus fort que toutes les théories. Un des soldats (Edward Burns) est sur le point de déserter après cela.

Sentant que tout risque de partir en vrille, Hanks se met à nu pour la circonstance, jouant ainsi sa dernière carte. Voilà, il n’est qu’un prof de littérature, égaré comme tous les autres quidams dans cette triste aventure. Pas un cri, pas un ordre. Il lui suffit de suggérer, avec toute l’autorité qu’il a acquis jusque là : je suis comme vous, et au fond je suis tout aussi abasourdi que vous, mais je sais à peu près où je dois aller. Suivez-moi si vous le voulez.

Ils repartent se sentant plus unis que jamais, mais après avoir hésité quand même. Avec cette force venue dont ne sait où et qui est la seule capable de rivaliser avec ce principe humain fondamental, de ne voir en priorité que sa propre survie. Quelque chose qui a à voir avec le destin de l’humanité. Elle seule est capable de se projeter dans un au-delà commun, qui lui permet les grandes enjambées. Pour le meilleur comme pour le pire.

Et je veux y croire qu’on puisse un jour agir contre son propre intérêt quand il s’agit d’une cause supérieure juste.

Il y a donc une « bataille royale » entre sa propre survie, la cohésion nécessaire à la survie de la troupe ou de chacun de ses camarades, le noble but assigné tout là haut, mais qui ne tient compte que du grand nombre. Tout cela fait débat à chaque instant. Il y a pas mal de psychologie là derrière.

Le film a indéniablement un côté Nouveau Testament. Hanks peut facilement figurer le Christ inspirant ses apôtres, la plupart desquels finiront en martyrs. Le guide aura son chemin de croix et finira par mourir pour les autres.

Sa dernière épreuve, il l’a vivra quand il sera confronté au fait que le soldat Ryan retrouvé ne veut pas lâcher ses compagnons en péril. Cette noble position est assez suicidaire, pour lui comme pour ceux qui sont venus le chercher. Quelle décision prendre ? On ne peut pas quand même l’emmener de force ! On ne peut pas laisser tomber non plus, cette poignée de pauvres soldats coincés à défendre ce modeste pont dans un village détruit ?

Il décide d’aller au casse-pipe.

Son dernier message sera que l’humanité devra se montrer digne des sacrifices qu’on fait pour elle. Le soldat Ryan ( Matt Damon) entendra clairement cela. Et au-delà, c’est le peuple américain qui est convoqué.

  • On pourrait rajouter que les Français (et bien entendu tous les autres nations concernées) doivent aussi se rappeler les dons qu’on leur a faits. Il n’y a pas que les USA d’ailleurs qui sont à remercier. Les Russes ont donné bien plus par exemple.

Et chez ces apôtres de circonstance il y aussi un Judas. Bah, il ne vend pas le Christ, mais il est tellement timoré qu’il laisse se dégrader une situation par son inaction coupable. Il aura donc lui aussi des morts sur la conscience.

Nous ne sommes pas non plus des héros, fussions-nous des héros de l’ordinaire et donc ce rôle, très bien interprété par Jeremy Davies, représente la plupart d’entre nous.

Ces plans de peur paralysante, qui pourraient être pris au premier degré pour de la lâcheté, sont tout simplement humains. Mais on exige du soldat qu’il dépasse l’humain. Inhumain ? Surhomme ?

Mais la réhabilitation de ce peureux se fera par la vengeance. Il n’hésitera pas à exécuter sommairement un soldat allemand, à qui il avait précédemment laissé la vie sauve, et qu’ils retrouvent contre eux. Jeremy contreviendra ainsi aux droits de la guerre. Cette mise à mort était-elle demandée par les spectateurs ?

Pour poursuivre, on peut souligner que le sniper doué de l’équipe, s’aide de versets bibliques pour atteindre ses lointaines cibles (tirs très bien filmés). C’est le Gott mit uns mais qui bless America.

Vers la fin, le film montre alors quelques faiblesses et/ou routines, bien pardonnables cependant.

  • D’abord, le final verse dans l’héroïsme de western, avec ses surenchères. On avait évité ce barnum jusque là. Les protagonistes citent même Fort Alamo.
  • On a déjà parlé du décès au combat du capitaine modeste, une scène ultime qui se veut déchirante et qu’on a quand même vu souvent au cinéma.
  • Idem pour ce « lâche » qui finit par dominer sa peur. Là encore c’est du déjà vu très classique.
  • Et pour couronner le tout, on a l’inévitable arrivée in extremis de la cavalerie. Les Tuniques Bleues sont dans des avions et quelques tanks. Il était temps !

La maîtrise du film est totale, et du coup notre metteur en scène se permet d’en faire un peu trop. Il a besoin d’une belle fin cathartique. Il ne s’en prive pas.

Il nous mène là où il veut… et parfois là où je ne veux pas aller.

La recherche de Ryan a un côté « où est Charlie ». On croit le voir partout.

A noter une autre contorsion. On voit au premier plan un vieux vétéran dans un cimetière militaire, fleurs à la main et toute la sainte famille derrière. Il s’agit donc d’un des protagonistes du film et qui donc va nous raconter sa guerre, qui a eu lieu des décennies avant. En effet, il se perd dans ses pensées et s’en suit un flash back qui occupe tout le film. On commence par Omaha Beach.

Mais à la fin on découvre que le sieur en question est Ryan et non pas le capitaine ou un autre qui aurait assisté à toute l’aventure. Et comme Ryan n’est retrouvé que vers le dernier tiers du film, cela ne colle pas. Il ne peut pas se remémorer les deux tiers de l’aventure commune qu’il n’a pas connu. Donc ce n’est pas son flash back à lui, contrairement à ce qui est suggéré … CQFD

Les spécialistes ont constaté un grand nombre d’erreurs historiques quant au déroulé, aux lieux ou au matériel. Mais pour nous autres, le tout venant, ce n’est pas si important. On va invoquer le joker de la licence poétique.

Enfin je ne suis pas un grand fan de cette musique envahissante de John Williams. Lors du générique final, j’aurais bien voulu me boucher les oreilles pour échapper à cette grandiloquence.

Je pinaille mais c’est juste pour justifier pourquoi ce film d’exception ne termine pas à la note de 9/10, qui l’aurait mis au dessus de tous les autres films que j’ai critiqué jusque là.

Des 5 Oscars, je retiens l’Oscar du meilleur réalisateur pour Steven Spielberg, l’Oscar de la meilleure photographie pour Janusz Kaminski et l’Oscar du meilleur montage pour Michael Kahn – Dommage que le nominé à l’Oscar du meilleur acteur, Tom Hanks, n’ait pas reçu la statuette. Mais il faut dire que Roberto Benigni a fait du bon travail dans La vie est belle.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Il_faut_sauver_le_soldat_Ryan

Tom Hanks
Edward Burns
Tom Sizemore
Barry Pepper
Matt Damon

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