La ballade de Buster Scruggs (2018) 8.5/10 frères Coen

Temps de lecture : 4 minutes

Du Netflix primé pour son scénario à la Mostra de Venise.

Un western, ou plutôt six westerns revisités dans un film à sketches. Cela aurait du être une série en x épisodes, mais c’est devenu un long film au final.

C’est présenté comme les nouvelles d’un beau livre de l’époque. On a même à notre disposition quelques secondes pour lire les premières et dernières lignes de chaque chapitre d’un livre ouvert. Ce qui permet de souligner les subtiles intentions des auteurs : « … mais que pourra-t-il dire à Billy Knap ? »

L’ensemble est intelligent.

C’est d’une richesse et d’une densité remarquables.

Pas un détail qui ne soit léché et utile. Tout a un sens. Cela en devient même un jeu avec le spectateur.

Les auteurs ont savamment dosés les très nombreux effets. Ils savent nous emmener où ils veulent grâce à des détours intéressants, pour au final nous donner un joli coup de grâce. Le « twist » des frères Coen.

Par contre, votre attention devra être nécessairement soutenue. Si vous êtes sur vos gardes, vous risquez de passer à côté. Mais pas d’inquiétude, cela vient tout seul, passé les premières surprises.

C’est du cinéma qui respire à pleins poumons.

La prise de vue, les enchaînements, la photographie, les thèmes, les véritables trouvailles, tout est d’un bon niveau.

On se régale d’une multitude de gags novateurs, aux confins de l’humour noir crasse et de l’absurde. Avec chaque fois la juste touche qui booste une scène de la grande tradition.

C’est délicatement transgressif et assez sauvage.

On sent une belle virtuosité des réalisateurs mais aussi de toute la chaîne des intervenants.

Les frères Coen maîtrisent leurs outils et toute la palette de leur art.

Une grande leçon de cinéma qui fera plaisir aux cinéphiles.

Les thèmes qui sont autant de mythes invariants ont pourtant de quoi faire peur :

  • -Le desperado roi de la gâchette et de la chansonnette.
  • – L’attaque de la banque.
  • – La caravane de pionniers et les indiens.
  • – Le vieux chercheur d’or.
  • – La dure vie des artistes ambulants.
  • – Le chasseur de prime et la promiscuité de la diligence (ce dernier chapitre est le plus « difficile » quand on le voit en anglais, car presque tout est basé sur le texte)

Les caractères sont eux aussi des archétypes :

– Le grand dur qui a bon cœur, le taiseux, la prostituée, les clients de saloon, les cow-boys et justiciers chantants sur de la musique country etc.

Ils ont des gueules, des physiques, des attitudes, des tempéraments.

Il y a des emprunts manifestes à la grande tradition du western spaghetti dans le côté grandiose des décors, les habits, les héros burinés… mais aussi à Fellini pour les êtres extrêmes.

A noter que ce qui fait la grande originalité de ce film, c’est qu’il s’est débarrassé des contraintes habituelles du genre.

Les frères Coen délaissent l’inévitable schéma de la traîtrise, de la haine et de la vengeance des westerns.

Ils transposent les sempiternels combats entre les bons et des méchants, le bien et le mal, en quelque chose de moins manichéen.

C’est plutôt la survie « animale » où le plus habile, s’il doit tuer, le fait pour rester en vie. Ils agissent tout « bêtement », sans haine mais avec intensité et si possible en chanson et/ou accompagné par la beauté des lieux ou des êtres. Comme une intercession shamanique, pour ce « prélèvement » parcimonieux dans la faune humaine.

Le voleur tue le banquier ou l’inverse. Le bourreau pend le coupable… généralement. Le convoyeur tue l’indien ou l’inverse. Tout est dans l’ordre des choses, sans plus de prises de tête, mais avec quelques belles phrases d’accompagnement pour ne pas bouleverser l’ordre de l’univers.

Le bandit subit sa deuxième pendaison, ayant réussi à échapper de la première. A nouveau sur l’échafaud, il se fend d’un « ah, c’est votre première fois » avec un bon sourire, à son voisin de corde en pleurs… puis se prend une dernière émotion « artistique » en se noyant dans les yeux d’une belle de l’assistance, juste avant de mourir.

Vrai ou faux, il y a toute la dignité humaine, là dedans.

D’ailleurs, ces cow-boys et pionniers sont étrangement policés et philosophes. Bien moins « bêtes » que l’on pourrait croire. Ils ont bien sûr des caractères nets et tranchés, mais leur devenir est foncièrement indéterminé. Et du coup, ils sont « naturellement » plus proches de nous et compréhensibles.

Dans le dialogue ci-dessous, ils font un sort aux « certitudes ». Un autre spectre récurrent du western traditionnel, souvent incarné par le leader charismatique qui sait lui où l’on doit aller. Et dont le choix est le plus souvent récompensé, car en accord avec la morale immanente du genre.

Exemples de dialogues « philosophiques » :

« La fille qui fut sonnée »

Quelles certitudes subsistent siècles après siècles ?

Alice Longabaugh (segment “The Gal Who Got Rattled) : …(parlant de son frère défunt) He had fixed political beliefs. All of his beliefs were quite fixed. He would upbraid me for being wishy-washy. I never had his certainties. I suppose it is a defect.

Billy Knapp (segment “The Gal Who Got Rattled”) : I don’t think it’s a defect at all. Oh no. Uncertainty. That is appropriate for matters of this world. Only regarding the next are vouchsafed certainty.

Alice Longabaugh (segment “The Gal Who Got Rattled) : Yes.

Billy Knapp (segment “The Gal Who Got Rattled”) : I believe certainty regarding that which we can see and touch, it is seldom justified, if ever. Down the ages, from our remote past, what certainties survive? And yet we hurry to fashion new ones. Wanting their comfort. Certainty… is the easy path. Just as you said.

« Les Restes mortels »

Ceux qui vont mourir connaissent-ils le sens de la vie ?

Englishman (segment “The Mortal Remains”): I must say… it’s always interesting watching them after Clarence has worked his art. Watching them negotiate… the passage.

Frenchman (segment “The Ballad of Buster Scruggs”): Passage?

Englishman (segment “The Mortal Remains”): From here to there. To the other side. Watching them try to make sense of it, as they pass to that other place. I do like looking into their eyes as they try to make sense of it.

[stares at the Frenchman]

Englishman (segment “The Mortal Remains”): I do.

[stares at the Lady]

Englishman (segment “The Mortal Remains”): I do.

Trapper (segment “The Mortal Remains”): Try to make sense of what?

Englishman (segment “The Mortal Remains”): [stares at the Trapper] All of it.

Lady (segment “The Mortal Remains”): And do they ever… succeed?

Englishman (segment “The Mortal Remains”): [smiles] How would I know? I’m only watching!

Vivement que les frangins Coen, s’attaquent aux autres grandes mythologies cinématographiques. Les grandes histoires d’amour classiques du ciné américains, les policiers, les thrillers etc

Ils ont trouvé “Mr. Pocket”, le filon d’or.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Ballade_de_Buster_Scruggs

Tim Blake Nelson
Brendan Gleeson
Liam Neeson
James Franco

Envoi
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