Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler (2018) 8/10

Temps de lecture : 6 minutes

Épisode 1. La conquête du pouvoir – Épisode 2. La mise au pas

Le projet américain qui a permis ces témoignages est clairement expliqué par Arte :

  • « Été 1939. Un appel est lancé aux États-Unis afin de recueillir des témoignages sur la vie quotidienne dans l’Allemagne nazie. Du monde entier, des exilés répondent. Ils sont juifs, protestants, catholiques, communistes, opposants de tous bords.
  • Tous ont connu l’Allemagne d’Adolf Hitler, tous l’ont fuie, tous racontent comment, au jour le jour, leur pays sombre dans la dictature.
  • 260 manuscrits, 20 000 pages de témoignages aujourd’hui retrouvés. À travers des archives inconnues, une plongée intime et bouleversante dans l’Allemagne du Troisième Reich. »
  • https://boutique.arte.tv/detail/ma_vie_dans_l_allemagne_d_hitler

Tentons d’aller au-delà de cette description fidèle.

– D’abord il faut noter que le travail américain de recueil d’informations est forcément sur support papier. Et sur le documentaire, c’est devenu un long récitatif continu fait par une seule dame. Ce discours monocorde devient un peu lassant, dans la forme. C’est un peu dommage de ne pas avoir pris au moins le soin d’alterner voie féminine et masculine selon le genre de la personne interrogée.

– La mise en cinéma a aussi nécessité d’adjoindre des archives cinématographiques, en accord avec le contenu des textes. Cela matche plus ou moins. Mais ce n’est pas grave, on comprend l’intention et cela fonctionne. De plus, la plupart de séquences me semblent originales. On a à faire à des petits bouts de films souvent de format amateur. Mais cela paraît bien plus professionnel quand on s’approche des dirigeants. Logique.

La démonstration que l’on peut deviner par l’enchaînement chronologique est éclatante :

– L’Allemagne dans les années qui précèdent1933 était en grand danger d’implosion. Les conditions économiques étaient très dures, la menace de chaos était bien réelle. Les lois n’étaient plus vraiment respectées.

La loi de la jungle avait une chance de s’imposer. Qui serait le plus fort ?

Les bolcheviques donnaient des coups de buttoir au système d’inspiration démocratique. Les esprits échauffées inspirés par le fascisme italien ne faisaient pas de cadeau non plus. La tension était à son comble.

Une grande partie de la population aspirait tout simplement à l’ordre et à la remise en route de la machine.

Nombreux se sont fait berner par l’homme providentiel d’alors, Hitler. Et ceux qui n’étaient pas convaincus pensaient que ce n’était qu’un clown qui ne ferait pas long feu. Il n’avait même pas à lutter contre lui.

1933 permet le quasi coup d’état quasi démocratique d’Hitler. Il est bien présent par ses résultats dans les urnes. Il va être désigné tout en haut, parce qu’il crie le plus fort et qu’il promet des solutions miracles.

  • Wikipédia : Bien que n’ayant obtenu qu’un tiers des voix aux élections libres de novembre 1932, et bien qu’Adolf Hitler ait été battu à la présidentielle par Paul von Hindenburg, le NSDAP arrive au pouvoir quand son « Führer » est appelé à la Chancellerie le 30 janvier 1933. https://fr.wikipedia.org/wiki/Troisi%C3%A8me_Reich

La remise en marche de la société ne lui donne pas si tort que cela. La plupart des Allemands travaillent désormais. La machine recommence à tourner. Les premiers résultats arrivent.

Tout cela a un prix.

Le spectaculaire incendie du Reichstag tombe bien. Profitant de l’effarement généralisé, Adolf Hitler promulgue le décret « pour la protection du peuple allemand » qui met entre parenthèse la liberté des individus et celui de la « détention de protection » qui permet d’emprisonner n’importe qui, n’importe comment et pour autant de temps que le régime le veut !

Avec de telles armes toutes les oppositions au nazisme sont jugulées. On n’hésite pas à neutraliser les anciens leaders en les enfermant des camps. La remise au pas, n’est pas affaire d’endoctrinement à ce niveau, mais de terreur méthodique. Tu marches ou tu crèves. Les gardiens sont des tortionnaires potentiels, avinés pour la plupart. Le plus souvent des moins que rien, qui pensent enfin exister du fait de leur pouvoir de vie et de mort.

Un autre élément est déterminant. La pensée unique est largement canalisée. Ce qui ne rentre pas dans le rang est pourchassé. Il faut afficher sa foi dans le nouveau système, qui prétend de faire de chaque Allemand une sorte de héros, sinon on prend le risque de devenir une victime. Ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux, qu’on se le dise.

L’adhésion a la doctrine doit être affichée aux fenêtres. Gare à celui qui « oublie » le drapeau à Svastika ! L’idéologie funeste de la transparence, fait que tout le monde doit désormais vivre le plus possible au dehors. Si vous ne participez pas aux innombrables manifestations publiques de soutient au régime, vous devenez très suspect. Et il n’en faut pas plus pour vous arrêter.

Les places ne sont données qu’à ceux qui sont encartés. Et même si vous n’adhérez que pour la forme, vous devenez rapidement complice du système. Un pas de plus et vous devenez un délateur à votre tour. Que ne fait-on pas pour préserver son rang !

  • Vu de notre position confortable, on serait tenter de penser que nous aurions été forcément résistants. Mais c’est être bien optimiste. Le piège est bien plus sournois et efficace qu’on le croit.
  • D’ailleurs il y a encore eu une élection « démocratique » en 1933, bien que l’étranglement soit déjà en place, après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, et les Allemands ont voté pour les nazis à 44 %

Ces mécanismes pervers sont mis à contribution dans tous les totalitarismes. L’Union soviétique ne fait pas autrement.

1935 est un autre tournant important. On n’en parle pas ici, mais c’est aussi la date du réarmement massif de l’Allemagne, les prémices de futures invasions successives, permises par un bloc démocratique impuissant. Il s’agit d’augmenter «l’espace vital» en s’adjoignant d’abord des territoires supposés germains.

Mais pour les gens dans ce pays c’est aussi une plus claire définition du bouc émissaire juif.

C’est bien commode puisque leur spoliation permettra aussi d’assurer le butin des francs-tireurs et bras armés du régime. La « police » le plus souvent d’inspiration milicienne y trouvera son compte.

Elle recrutera des brigands efficaces. On aura donc de véritables criminels au poste de pouvoir, mais aussi des tacherons stupides de type « banalité du mal ».

En plus des victimes d’un racisme élargi, la gauche et les sociaux démocrates sont dans la ligne de mire.

Les chrétiens ne sont pas non plus en odeur de sainteté. On voit bien dans Mein Kampf que ce sont les doctrines qui protègent ou consacrent le « faible » qui sont désignées, conjointement. Il faut bien le comprendre. C’est d’ailleurs pourquoi on insiste parfois (à tort?) sur le rôle catalyseur de la pensée de Nietzsche.

Il n’y a pas que l’obsession anti-juif.

Il n’y a pas que la chasse aux « races inférieures » et « aux dégénérés ».

Par exemple les Slaves et les homosexuels seront également attaqués

Les Allemands vont se laisser aller aux bas instincts haineux. Il y aura de la surenchère au niveau de la base dans le cadre de cette « hypnose de masse ».

En tout cas tant qu’ils ne seront pas encore des « victimes » économiques de l’effort de guerre et/ou des agacements du système, et tant qu’ils ne seront pas anesthésiés par les succès de la clique qui les domine.

Il faut entendre ce témoignage effarant de la petite fille juive écrasée à mort par tous les élèves aryens d’une classe, dont celle qui témoigne, sous les encouragements de la prof ! «  de quel côté êtes-vous mes petites Allemandes ? »

Les victimes désignées d’une traque organisée, se berceront d’illusions : « ils feront des exceptions » pensent-ils ? Nombreux sont ceux qui préféreront gober les mensonges d’état plutôt que d’affronter les multiples indices d’une cruelle réalité.

1938 : La nuit de Cristal consacre la libération de toutes les mauvaises énergies contre les juifs, du haut en bas de l’échelle. On brûle les symboles du judaïsme et on pille systématiquement. L’Allemagne a choisi ouvertement de se débarrasser de ce qu’elle considère comme un corps étranger. Il n’y a plus de limite, plus de frein à la « solution finale ». On entre dans le domaine de la folie absolue. Mais il n’y a pas l’excuse l’irresponsabilité bien entendu.

Tout cela est archi connu. Mais ces nouveaux textes et ces nouvelles images, qui montrent le nazisme au quotidien, versus les gens ordinaires, ont le mérite de rendre cela plus tangible, moins théorique.

Ces témoignages sont le fait de gens qui ont fui. Ce sont nécessairement des opposants. Il serait intéressant d’avoir la même chose du côté des quidams qui ont vraiment cru aux balivernes qu’on leur a mis dans la tête. Le système ne pouvait pas fonctionner sans une profonde adhésion. J’ai coutume de dire que c’est cet « optimisme » aveugle des peuples qui est le plus grand danger.

Je suis alsacien. Il y a quelques décennies, à Strasbourg, une copine bien blonde, m’a montré les livres nazis que ses parents cachaient chez eux (*). Les anciens regrettaient un certain ordre. Cette façon de voir a été bien plus courante qu’on le croit dans l’Allemagne d’après-guerre et chez certains nostalgiques en Alsace.

  • (*) dont un livre illustré sur ce « bon » Hitler, avec des images stéréoscopiques en annexes. J’espère qu’il n’a pas été détruit depuis.

https://www.lepoint.fr/societe/quand-les-nazis-photographiaient-hitler-en-3d-16-09-2011-1374060_23.php

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