Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) 8/10

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Voilà un film bien tourné, bien interprété et qui donne à réfléchir.

Voir ici :

C’est Pialat qui est aux manettes, tant pour le livre princeps qu’il a écrit lui même (autobiographique ?), qu’à la réalisation.

On a là plusieurs niveaux de lecture possibles.

– Le regard féministe anachronique d’aujourd’hui sera vent debout contre le machisme violent du personnage brutal joué par Jean Yanne. Cette révolte est justifiée, non pas qu’elle doive occasionner une chasse revancharde exclusivement contre tous les mâles, mais comme une réaction nécessaire à l’oppression d’où qu’elle vienne.

Mais il faudrait encore des nuances, car il existe une frange de population sado-masochiste ou bien tout bonnement complémentaire entre le faible et le fort, qui se satisfait parfois des déséquilibres.

Mesdames, ne vous énervez pas tout de suite. Je sais bien que ceci n’excuse pas tout. Il faudra développer.

Ce film, où les oppositions sont on ne peut plus tranchées, consolidera leurs convictions primaires. Il pourrait servir d’étendard à celles qui appellent à la révolte des « victimes ». En cela, les très archétypales Marlène Jobert la maîtresse et Macha Meryl la femme, seront bien utiles. Attention cependant à ne pas faire une lecture au pied de la lettre qui confonde la fiction et la réalité.

Et nos militantes les plus carrées ne manqueront pas d’y voir un trait masculin ontologique qu’il faut toujours combattre obstinément, avec tous les a priori que cela suppose. Selon cette thèse, les hommes sont fondamentalement des prédateurs de femmes. Il faut lutter pied à pied contre cela en marquant des distances. Ce qui donne des thèses ahurissantes comme l’inversion de la charge de la preuve quand ces histoires deviennent dramatiques. On en est là avec une certaine frange du féminisme punitif.

– Mais les plus optimistes peuvent cependant voir avec cette œuvre le grand bond parcouru depuis 50 ans. On est à des années lumières de tout cela. Et ce n’est pas du aux coups de buttoir des suffragettes. Non ce sont les évolutions sociétales qui ont mené à cela. Prospérité et autonomie faisant que les individus peuvent vivre séparés sans complexes. Il y a moins de dépendance et c’est bien comme cela. La contraception à détourner la fatalité de l’union procréative etc. C’est le progrès naturel et non le fiel qui fait avancer la société.

– Cela dit, je reconnais sans problème que les « méthodes » du tourmenté Jean Yanne sont inacceptables. Mais…

Il y a en effet un mais. Dans ce qu’il a de caractériel, le personnage correspond à ce qu’on sait du réalisateur. Et donc il y a là une volonté de mettre à nu le concepteur lui-même. C’est donc aussi une œuvre de dépeçage, utile et sans pincette. On est dans le registre de la tronçonneuse.

Les gens qui ont fréquenté de près Pialat, disent tout le mal et tout le bien qu’ils pensent de lui. Il y a un gros coeur dans ce nounours capable du pire. Ce déshabillage, en forme d’autopsie du vivant, est méritant et n’impose pas qu’on se positionne pour ou contre. On est dans une autre registre là.

Et ce n’est pas une thérapie, heureusement. Si Pialat était « guéri » il ne nous aurait pas montré tout cela, qui nous parle tant. Il fallut qu’il soit blessé, écorché vif lui-même pour nous amener à ces hauteurs et ces profondeurs. Le public qui est venu en masse l’a compris.

– Macha Meryl, son épouse dans le film, l’a aimé profondément car il est fort, car c’est une montagne. Il semble un rempart contre le monde hostile. Avec lui à ses côtés, on doit se sentir protégé des attaques du dehors. Son esprit fonctionne rapidement, même s’il n’est pas assez productif. Il délaisse son rêve de scénario qui le propulserait au-delà de son petit métier de cameraman. On lui rappelle mais il ne fait rien. Il est vide quelque part. Sa chasse sexuelle permanente semble plus importante pour lui.

Et puis Macha est intelligente et sait louvoyer. Une femme libérée comme on disait à l’époque. Alors qu’il se détache progressivement d’elle, elle n’a pas de difficulté à aller chercher ailleurs, tout en maintenant ce dont il a besoin d’apparence. Sa virilité n’est pas remise en cause.

Non seulement elle ne l’agresse jamais, mais en plus elle sert d’intermédiaire avec la maîtresse. Elle dit être triste de voir cet homme malheureux. C’est dans sa nature de voler à son secours en partant à la pêche aux informations pour essayer de recoller l’union extra-conjugale de son mari.

C’était sans doute provocateur dans les années 70. Mais les couples informels, décomposés, recomposés, de maintenant, ont moins de mal à assurer une sorte de grande communauté affective, dans la bonne humeur. Même si je ne crois pas trop à la durabilité de telles entreprises.

Mais ce garçon a de sérieuses failles. Il est râleur, odieux, insatisfait et mu par un désir instinctif qui doit être immédiatement assouvi. C’est son seul médicament contre ses profondes blessures.

Une tentative d’explication psychanalytique est ébauchée sur un coin de table. Ce serait en rapport avec sa mère. Pialat nous fait la grâce de ne pas insister. Merci.

– Marlène Jobert s’en prend plein la figure. Elle a 32 ans alors mais elle doit jouer un frêle petit oiseau de 25 ans. Elle est habillée en années 70. Sur tous les plans, dégaine insouciante, mini-jupe, coiffure typée…

Pourtant elle vise davantage le mariage et la protection ad vitam æternam que les relations libres post soixante-huitardes.

Et donc elle s’accroche à notre Jean pendant 6 ans. Et pour elle cela va de mal en pis. Fini l’enthousiasme et la passion des débuts. Mais elle a un mal fou à s’autonomiser. Tout gravite encore autour de son roc. Et les digues tombent. Ce qui vaudrait d’innombrables ruptures et rabibochages.

Je ne les ai pas compté mais on sent que le scénario a fait fort numériquement parlant. Il y a cependant un effet exagéré du à la compression dans le temps cinématographique. 5-6 séparations/réconciliations, cela peut se concevoir dans le temps.

En nous escagassant avec ces multiples allers-retours, notre jugement de spectateur s’émousse lui aussi. On en viendrait presque à réclamer qu’ils s’unissent pour de bon et nous fichent la paix, une fois pour toute. C’est sans doute ce à quoi aspire les deux êtres. Mais ils sont sur le mauvais chemin.

Mais à force de coups de canif dans le contrat non-écrit, il y a de la désespérance et de l’acrimonie des deux côtés. Et c’est plutôt la rupture définitive qui se profile. Tout le monde sait d’ailleurs qu’on ne répare pas les pots cassés.

Et au fond Marlène a peur de cet homme. Peur des coups, peur des cris, peur de son insignifiance, peur du non engagement. Elle se rend compte qu’elle est aux antipodes de la protection espérée. La menace vient du dedans.

Tout le monde est terrorisé et se tient à carreau, même le père de cette brute.

Et la belle famille, la sainte famille machin de Brassens en quelque sorte, s’en mêle. C’est l’hypocrisie classique des humbles qui n’affrontent jamais en face les plus forts qu’eux. Ils ne sont pas là pour trancher mais pour accommoder les uns et les autres. Ils servent à chacun ce qu’ils demandent. Mais au fond ils n’en pensent pas moins. Il déteste cette incarnation de l’incontrôlable Jean Yanne. Leur vrai centre d’intérêt ce sont les jeux télévisés.

A ce moment les courbes se croisent. Marlène est dans la décroissance amoureuse alors que Jean est dans l’escalade. Les jeux sont faits.

On était pourtant prévenu avec le titre. Il était clair qu’ils ne vieilliraient pas ensemble.

Ce film est tellement bien interprété qu’on en vient à penser que Marlène et Jean sont comme cela dans la vraie vie. Pour Macha c’est plutôt un contre-rôle, mais cela peut faire illusion.

Bon film, beau succès commercial pour ce scénario difficile. Et récompense très justifiée pour Jean Yanne avec le prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nous_ne_vieillirons_pas_ensemble


Jean Yanne
Marlène Jobert
Envoi
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