Odyssée de l’écriture. Avis documentaire Arte Martin de la Fouchardière 8/10

Temps de lecture : 4 minutes

Vouloir traiter en long et en large de l’écriture, n’est pas une mince affaire.

Nombreux sont ceux qui s’y sont mesurés. Les angles sont multiples mais les principes trouvés sont consensuels et convergents.

Chaque décennie apporte pourtant un nouveau regard qui complète les précédents. Il n’y a pas de remises en cause fondamentales mais des ajustements et des compléments. Ce qui est étonnant quand on sait l’intérêt des neurosciences dans tout ce qui concerne les étages supérieurs du cerveau. Ces méthodes d’investigations sont sans doute encore balbutiantes et attendent leur Einstein.

Jusqu’à présent on s’appuyait surtout sur les premières étapes, celles de l’alphabétisation. Ses premières manifestations et les évolutions en disent long. Avec elles les différents messages transmissibles par les civilisations anciennes prenaient encore plus d’importance. Les scribes allaient devenir une caste très adulée.

  • La série comprend trois épisodes. Dans le rapport que j’en fais ici, certains éléments sont déplacés de l’un à l’autre et ne respectent donc pas la subdivision adoptée par le réalisateur, M Martin de la Fouchardière

Le premier épisode « Les origines » (2020) y revient avec intelligence. On est vite captivé par le récit. C’est classique mais bien fait. De bonnes révisions sur les hiéroglyphes, l’écriture cunéiforme, les glyphes mayas décryptés assez récemment, la problématique des idéogrammes chinois, mais il y a aussi quelques trouvailles.

Mais la deuxième partie nous réveille encore un plus. Il s’agit de « l’empreinte des civilisations » – Derrière ce jeu de mot, ce cache un tableau synoptique qui montre les avantages compétitifs apportés par les techniques et les freins qu’elles ont pu rencontrés.

Ainsi on resitue le berceau de la fabrication de masse en Chine des écrits grâce à l’invention du papier. C’est bien expliqué avec des exemples concrets de reprise de ces méthodes à l’heure actuelle. La diffusion des informations sur ce support étant quand même gêné par l’obligation de reproduire des idéogrammes. De grandes planches gravées ont existé. Mais c’est un travail artisanal voire artistique.

Les musulmans de Samarcande ont réussi à percer le secret du papier. Ils l’ont amélioré. Ils ont pu recopier le Coran, mais n’ont pas atteint la production industrielle car l’arabe écrit se prête mal à cela.

Les Européens ont fait le grand bon en avant. D’abord parce que Gutenberg a compris l’intérêt des caractères mobiles et ensuite parce que l’alphabet était uniformisé et parfaitement adapté à cette division des lettres. Il s’en est suivi un essor considérable, et pas que de la Bible.

Les musulmans ont tenté de rattraper leur retard en tentant une conversion de leur écriture plus favorable à la mécanisation. Cette production qui changeait trop les habitudes et qui manquait de finesse n’a pas réussi à percer.

Le dernier chapitre s’intitule « Une nouvelle ère ». L’Orient est en panne depuis des siècles, totalement bloqué par la tradition – Alors que l’Occident entre dans sa révolution industrielle.

Des esprits réformateurs tentent des gros coups. Atatürk transforme l’écriture arabe de son pays en l’espace d’une année. Il adopte l’alphabet classique avec quelques particularités. C’est une véritable révolution qui secoue les anciens. Mais le peuple va s’y adapter et grâce à cela ce pays ne sera plus une contrée d’analphabètes. L’éducation va gagner du terrain.

Dans les marges de la Russie, l’arabe littéraire compte encore beaucoup. Staline qui a des arrières pensées politiques va obliger une conversion en alphabet classique des ces langues. Puis on passera par une phase d’alphabet cyrillique pour uniformiser davantage. Lors de l’éclatement de l’empire certains de ces pays reviendront à l’étape précédente.

Le documentaire revient maintenant en Chine. On voit la difficulté d’une écriture strictement idéographique de s’adapter aux nouveaux supports d’information. Il faut donc passer par une sorte d’alphabétisation phonétique. Et encore.

Au Japon les deux systèmes coexistent. Mais les jeunes de là bas ont fini par créé une écriture transcrite à part qui passe par la dactylographie des claviers occidentaux. Ils ont pratiquement perdu la capacité d’écrire le chinois comme les anciens. Et quand ils sont en panne, ils passent par la reconnaissance vocale.

Les idéogrammes ont pourtant une fonction unificatrice irremplaçable. Le même idéogramme compris dans tout le vaste pays se prononcera souvent de manière totalement différente d’un coin à l’autre. Un alphabet phonétique ne sera pas universel dans ce cas, car il engendrera plusieurs avatars écrits bien différents.

Une parenthèse scientifique de type neurosciences montre que les aires de lecture de caractères strictement idéographiques ou strictement phonétiques sont à peu près les mêmes. Et que l’éducation se fasse de l’une ou l’autre manière ne changerait pas grand-chose, au final.

Les jeunes des pays arabes ont également une écriture intermédiaire informatisée.

On avait compris jusque là les intérêts fondamentaux de l’écriture pour le commerce le calcul et la transmission en général. Mais cet aspect de compétition civilisationnel est nouveau et enrichissant.

Conclusion sur ces documentaires :

Plus qu’un coup de chiffon sur un sujet connu, il s’agit d’un polissage profond et bénéfique qui donne une toute autre gueule à ce véhicule ancien qu’est l’écriture. Manifestement l’écriture n’est pas innocente. Elle a un pouvoir de transformation des sociétés.

Mais désormais avec nos prothèses informatisées, nos smartphones, la perte des anciens codes, les fautes en masse, on peut se demander si le fait de savoir écrire est encore nécessaire. Une telle phrase en révoltera quelques uns. Alors que c’est juste un constat d’une tendance assez inéluctable.

L’illustration correspond à l’étiquette du Château Mouton Rothschild 2018 que l’on doit à l’artiste Xu Bing spécialiste des faux idéogrammes. On parle aussi de celà dans le documentaire.

Envoi
User Review
0 (0 votes)

Laisser un commentaire