Procès. Mort David Crosby : remember my name (2018) 8/10

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David Crosby est mort le 19 janvier 2023. Il a été un membre éminent de feu CSNY, le groupe de folk rock mondialement célèbre, mais pas seulement. Il a eu une intense vie musicale avant dans les Byrds et après en solo.

  • Il est désormais un immortel grâce à la prestation hors du commun de son ensemble à Woodstock.

Cette visite « guidée » en sa compagnie, dans des lieux pop mythiques de Los Angeles, est l’occasion d’une très intéressante « confession » testamentaire de l’artiste. On en apprend un peu plus sur les galères de sa vie.

  • En tout cas on a droit à sa version.

Le jeune intervieweur A.J. Eaton est visiblement dépassé par ce monstre sacré. Qui ne tremblerait pas à l’idée de passer à côté des témoignages de ce mastodonte chanteur et musicien ? Il fait ce qu’il peut, de là où il est.

  • Mais il est clair que le rusé David Crosby tire ici les ficelles. Cette pointure est douée pour les effets trompeurs ; ici comme dans toute sa vie.

D’ailleurs Crosby n’a besoin de personne pour s’épancher. Il fait même son propre procès à charge. Il dresse de lui un portrait très négatif.

Ce qui est pour le moins étonnant, car en général on triche pour sa promotion, on enjolive. On ne se dépeint surtout pas en mauvais homme.

On doit donc se poser la question de la sincérité et de la manipulation.

Le beau rôle recherché indirectement, pourrait être celui du pauvre pécheur, qui fait sa confession, qui demande pardon et qui recherche ainsi notre absolution.

Dès le départ, il se pose en victime d’un père distant qui « ne lui a jamais dit je t’aime » et qui « n’avait pas d’âme ».

  • En filigrane de tout cet exposé, il y a l’idée que rien ne serait vraiment de sa faute. Et si tout le monde a fini par le haïr, il ne comprend pas, lui qui pense aimer tout le monde.

Et même en soulignant les différents drames et massacres, qu’il a occasionné dans son milieu professionnel et chez se proches, il veut quand même trouver le moyen de nous émouvoir. C’est une démarche en grande partie inconsciente.

Cherche-t-il ici à attirer la pitié et/ou la sympathie des spectateurs ?

  • De toute façon ce n’est pas si grave puisque le véritable artiste – lui comme un autre – est peu de chose par rapport à la valeur de sa création. Ce fil conducteur fait de mauvais moments est somme toute juste un prétexte, comme un autre. Personne ne sortira de là en disant, moi aussi je le déteste ; bien entendu.

Une habile pirouette glissée dans ce storytelling, fait que ce gros malin, pose lui-même la question d’une mise en scène de sa part. Vers la fin, il place une petite phrase bien pesée. En substance, il aurait pu tricher, en se mettant ainsi en situation dans ce reportage : «J’aurais pu abuser de votre confiance. Tout cela est peut être un plan habile de ma part »

Il y a de manière générale un sentiment d’étrangeté.

  • Lui lorsqu’il s’observe et qui a beaucoup de mal à se cerner.
  • Lui face aux autres, dont toutes les pointures qu’il a connu et qui lui tournent le dos.
  • Lui face à nous, avec ce double langage.

« Étrangeté » car il est fondamentalement un étranger dans ce monde. Et visiblement il n’est pas mécontent de sa tour d’ivoire.

Dans ce récit en forme de bilan, à présent, il ne semble vouloir sauver que sa musique et son tout petit cercle protecteur familial.

Lui et sa femme le dépeignent en soldat courageux de la musique. Ce vaillant guerrier part encore au combat, malgré sa détestable condition physique.

  • Il est en sursis avec ses multiples infarctus et stents, son hépatite C et sa greffe de foie, son sérieux diabète. Il ne devrait pas faire tant d’effort.
  • Il est clair pour eux que ce « héros » mourra la guitare à la main.
  • Le voila passé du rôle de peccatore repenti à celui d’Archange Michel brandissant son instrument flamboyant.

Et là encore, vers la fin du documentaire, il laisse échapper un contrepoint, sous la forme d’une boutade. Désormais il ne monterait encore sur scène que pour « rembourser son prêt immobilier ». Double je.

Un toxicomane extrême, comme il l’a été longtemps, est fondamentalement un tricheur. Il est aussi clair sur ce point.

  • L’héroïne lui permettait de s’anesthésier, de sortir du réel, et d’éviter ainsi toutes les douleurs conflictuelles. Le premier shoot fut une extase. Tous les suivants ont cherché à retrouver ce bonheur artificiel en vain et ont mené à la catastrophe que l’on sait.
  • La cocaïne lui assurait des prouesses. En particulier pour le sexe, où il ne se sentait pas très performant. Ils parlent de centaines de femmes.
  • Il est bien évident qu’il ne faut jamais commencer cette spirale infernale. C’est son message, c’est le mien.

De quoi s’accable-t-il ?

– Il serait le seul qui n’ait pas fait de tubes.

  • Mais il a fait mieux que cela ! On voit bien que sa contribution est essentielle au travail du groupe ; avec des œuvres moins vendeuses mais plus profondes.
  • Il pointe d’ailleurs qu’au centre de CSNY et CSN il y a d’abord lui et Nash.
  • Il est bien indispensable.

– Ses partenaires lui ont reproché d’être trop « politique », de s’arque-bouter sur des thèses du complot (Kennedy). C’est pourquoi il a été exclu des Byrds. C’est comme cela qu’il le voit.

  • Mais Crosby s’empresse de montrer que son engagement était essentiel. Cela sera criant, à l’époque de la chanson Ohio (*), conçue par Neil Young en 1970 et mise en chorale par le groupe. Elle est devenue un hymne pour les militants pacifistes, après la tuerie d’étudiants dans le campus de la Kent State University.
  • Notre trublion politisé ne peut s’empêcher de critiquer ouvertement l’enquête à décharge qui a suivi ; encore maintenant. Lui il a la preuve.

– Il n’a pas compris de suite la chance qui lui a été offerte, par sa réussite quasi immédiate. Il s’est comporté comme un enfant insouciant et gâté.

  • Il trouvait tout naturel d’être dans un premier groupe en tête des chartes, de fréquenter les Beatles, Bob Dylan et bien d’autres personnages illustres.

– Il dit de lui qu’il a un égo surdimensionné et pas de cervelle, qu’il est égoïste et borné.

  • Il attend sans doute qu’on lui crie « mais non ! »

– Il sait qu’il est colérique, qu’il pète facilement les plombs et qu’il devient alors de plus en plus « connard »

  • L’excuse de l’adrénaline. Ce n’est pas de sa faute en fait.

– Il ne s’aime pas. Là, il prend les devants, car ce sont les autres qui le détestent.

  • Les anciens du CSNY ne lui parlent plus du tout. Ils le détestent profondément. Il l’affirme.
  • On sent que les autres le pensent dans leurs interventions d’alors et de maintenant, mais on ne leur en laisse pas exposer les raisons.
  • Pourtant, il s’adoraient et se soutenaient mutuellement au départ.
  • Il doit y avoir quelque chose à développer là, plutôt que de résumer cela à des impressions. C’est sans doute plus grave qu’une question de susceptibilité.
  • Ici le reportage est dans le non-dit, ce n’est pas très honnête.

– Il souligne qu’il a « fait du mal à un tas de gens, un tas de filles ». Il se reproche de ne pas leur avoir donné assez d’amour. Il est consterné d’avoir branché certaines de ses compagnes sur les drogues dures, les rendant addicts.

  • Mais lui même a été mené à cela par un « ami » dont il tait le nom.

– Il s’appesantit sur ses illustres conquêtes. Dont Joni Mitchell qui a été un phare dans la pépinière de Laurel Canyon et qui avait « un mojo énorme ». Il est resté meurtri, aujourd’hui encore, par l’accident mortel dont a été victime son grand amour Christine Hinton, 21 ans.

– Il a pleuré alors, « parce que, c’est tout ce que je savais faire ». Encore une faiblesse.

– Il prétend avoir perdu sa voix maintenant.

  • Mais on se rend bien compte dans les extraits qu’il en a encore énormément sous le capot. Un journaliste de plateau en reste lui sans voix, il ne sait dire que « mais quelle voix incroyable vous avez !». Il est troublé que ce papy vocalise encore si intensément.

– Il déclare « je veux être un homme aimé ».

  • Il est clair qu’une partie de son comportement névrotique montre une dépendance à son besoin de reconnaissance et d’affection.

Il y a des passages émouvants :

  • Comme quand il reste humblement sur le seuil de l’ancienne maison du groupe « Our house… » (**) où il s’est passé tant de choses
  • Ou quand il rabroue le photographe attitré de ces années là et qui est tombé dans les bêtises de l’astrologie.
  • Et que dire de cette épisode pathétique de la prison, où il est rentré avec une addiction suicidaire, infernale, et dont il est sorti en baudruche obèse et sans repères !

Le gros morceau du documentaire est plus positif, c’est bien sûr la mise en perspective de tous ces magnifiques extraits musicaux. Dont certains sont classieusement revisités. On peut dire qu’on est venu pour ça. Et en effet ils valent à eux seuls le détour.

C’est la raison principale du gonflement de la note, qui passe ainsi à 8/10 (les très bons).

Je me suis surpris en train d’avoir une pulsion d’achat. Où puis-je trouver cela sur Amazon  ? Le vieux sorcier a réussi son tour. Voir aussi Crosby, Stills & Nash: Acoustic (1991) 8/10

https://ultimateclassicrock.com/david-crosby-if-i-could-only-remember-my-name/

Son premier album solo, If I Could Only Remember My Name, donne le titre à ce documentaire.

– On y retrouve en appui de grandes figures de la West Coast dont les membres du Jefferson Airplane, ceux du Grateful Dead, des musicos de Santana, le chanteur de Quicksilver Messenger Service, Neil Young, Graham Nash et Joni Mitchell. Vraiment le gratin !

(*) Ohio

Mais si les babyboomers, vous ne connaissez que cela.

Vous avez la musique en tête, mais sans doute n’aviez vous pas à l’époque le besoin de comprendre les paroles.

Le refrain :

Tin soldiers and Nixon’s coming

We’re finally on our own

This summer I hear the drumming

Four dead in Ohio

(**) Our House

Le refrain :

Our house is a very, very, very fine house

With two cats in the yard

Life used to be so hard

Now everything is easy ’cause of you

And our

Sincérité de Crosby ?
Envoi
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