Voix d’Aïda, Srebrenica, Quo vadis ONU. Mladić criminel. 8/10

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Srebrenica, en Bosnie-Herzégovine et plus précisément en république serbe de Bosnie, cela nous dit tous quelque chose. Et plus encore, quand on nous lance à la figure la locution entière, « le massacre de Srebrenica » de 1995.

Pourtant les circonstances de ces crimes de guerre, ces crimes contre l’humanité avec ce nettoyage ethnique visant les musulmans bosniaques, restent encore assez vagues pour la plupart d’entre nous.

En partant d’un exemple concret, ce film « Quo vadis, Aida ? » a le mérite de fixer les idées. Et il n’y va pas de main morte. Le spectateur sera secoué. Non pas par la vision des horreurs, lesquelles sont à peine évoquées, mais par la démonstration qu’il existe des machines de mort sournoises et implacables, auxquelles ni vous, ni moi ne pourrions échapper. Ce long métrage est donc singulièrement impliquant.

***

Jasna Đuričić incarne avec intelligence une mère courage. Plus consciente du danger qui se profile que son entourage, cette enseignante tend à diriger sa famille pour passer entre les gouttes.

Alors que le drame se met en place, elle comprend de plus en plus clairement le piège qui se met en place. Une grande part étant portée par l’intuition et une bonne connaissance des signaux qu’envoient inconsciemment les humains.

Les hommes bosniaques sont très sérieusement menacés. Qu’ils aient portés les armes ou non. Ce n’est pas le moment de faire un tri fastidieux. D’ailleurs personne ne reconnaîtrait son implication. Pour les Serbes, ils sont tous à mettre dans le même sac.

Ne pouvant bien entendu pas sauver tout le monde, Jasna cherche à préserver son mari et ses fils. Elle a de lourdes responsabilités qui pèsent sur ses épaules. Au moindre faux pas, tout s’effondre. Et nous ne sommes pas dans un de ces scénarios happy end.

Les soldats Serbes veulent se venger de cette ville qui leur a résisté, avec sans doute aussi des morts et des blessés de leur côté. Ils avancent leurs pions inexorablement.

Les habitants sont en théorie protégés par la Forpronu. Pour éviter le pire, les Casques bleus parquent la population menacée dans un vaste hangar. Mais ils n’ont pas de sanitaires ni de nourriture à leur proposer. Les Serbes font monter la pression sous des prétextes divers, tout en jouant la comédie de l’apaisement.

Ils manient la carotte, avec par exemple des dons de pain, et le bâton, en haussant le ton et en défiant vertement les autorités dépassées.

Le général Mladić lui-même vient tenter de faire baisser la tension, en promettant paix et justice. C’est une infâme manipulation, du même ordre que la promesse de bonnes douches, avant l’entrée dans les chambres à gaz, jadis. Il ne faut pas oublier qu’il est surnommé « le boucher des Balkans ».

Ces hommes lourdement armées parviennent à entrer dans la place sanctuarisée, sous le prétexte de contrôler s’il y a des opposants armés. Ils finissent par séparer les hommes des femmes comme ils avaient prévu. Et ils les emmènent là bas, là derrière. Certains iront dans une salle de cinéma, où on leur promet une projection.

Étant une des rares intellectuelles disponibles, Jasna Đuričić a réussi entre temps à être accréditée par les onusiens locaux, comme une de leurs aides. Elle rajoute avec difficultés son mari sur la liste des personnes protégées, comme ayant participé aux « négociations ». Mais comme les fils sont exclus du sauvetage, l’époux les rejoindra au dehors pour ne pas les laisser tomber. Tous ces hommes seront massacrés. On donne habituellement le chiffre effarant de 8000 meurtres au total. La population de personnes réfugiés dans la ville était de 28.000 personnes.

C’était prévisible. Mais comme toujours, chacun gardant un espoir secret, tout le monde ira quand même à l’abattoir.

Une fois le conflit terminé Jasna pourra pleurer les siens plus dignement, parce qu’on a exhumé les squelettes d’un des charniers. Les siens sont clairement identifiables par les habits et chaussures qu’ils portaient.

Un spectacle scolaire montre les spectateurs réjouis, parmi lesquels un des bourreaux les plus impliqués.

C’est aussi cela la guerre, des blessures qui ont du mal à se refermer, surtout si les criminels ne sont pas inquiétés. A quoi bon mettre dans la balance des massacres faits cette fois par les Bosniaques et les Croates en d’autres lieux ? Il faut briser ce qui pourrait faire perdurer cette éternelle vendetta.

Ce film est vraiment dérangeant, tant il semble vrai et difficile. Nous autres, pauvres profanes, n’avions pas conscience de l’infinie complexité de la situation ; avant de visionner cela.

On peut affirmer que la faiblesse dans la protection des civils est due à l’impéritie des structures hiérarchiques. Doit-on blâmer l’échelon local, qui prétend avoir fait « ce qu’il peut » ? C’est difficile à trancher. Il n’y a pas un John Wayne valeureux capable d’inverser la tendance à lui seul. On n’est pas au cinéma. Et nous qu’aurions-nous fait ?

Bien entendu, ici ce sont d’abord les crimes indiscutables de ces Serbes là, qui sont à mettre en cause. Mais la banalité du mal, peut compter de tout temps, sur la pusillanimité des opposants ou l’aveuglement des neutres.

Tout le monde ou presque semble a sembler vouloir se décharger du fardeau, avec la terrible résultante que l’on sait.

L’OTAN finira par bouger en organisant les bombardements jugés nécessaires par une grande partie de la communauté internationale. Srebrenica aura au moins servi à cela. Mais ne pouvait-on pas l’éviter. Le récit cite des promesses non tenues d’intervention armée et de bombes en soutien de l’armée de Bosnie-Herzégovine face aux Serbes.

Enfin rattrapé, Mladić est condamné à la prison à vie par le TPIY en 2017

Un film judicieux de 2020 et qui est somme toute équilibré. On le doit à une femme, la réalisatrice Jasmila Žbanić née en 1974, et qui avait donc 21 ans lors de ces exactions de 1995.

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Voix_d%27A%C3%AFda

https://fr.wikipedia.org/wiki/Srebrenica

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_serbe_de_Bosnie

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ratko_Mladi%C4%87

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