Avis. Goût de la cerise. Film Kiarostami – Lettre persane – Résumé (1997) 8/10

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Abbas Kiarostami est un habile conteur. Il sait ménager ses effets et nous conduire progressivement où il veut.

Pendant 99 minutes, il nous balade en Range Rover. C’est une itinérance qui concerne toujours les mêmes pistes poussiéreuses. Le 4×4 parcourt de diverses manières, la même colline qui surplombe une grande ville iranienne.

Un spot isolé et escarpé, tout aussi désertique que le reste, est au centre de toutes les attentions. On va à proximité de ce point central, on le quitte, on y revient. Mais on n’est jamais vraiment dedans. Sauf à la fin.

Mais que recherche donc ce conducteur ? Il scrute à basse vitesse tous les hommes vigoureux qui passent. Il en interpelle certains et ce qu’il leur dit à demi mot est bizarre.

Avec son long début ambigu, l’auteur nous met en condition de recevoir un message.

Cet homme d’âge moyen, joué par Homayun Ershadi, semble très préoccupé. Il veut à tout prix trouver quelqu’un qui devra accomplir pour lui une mission très spéciale. C’est pour lui une question de vie ou de mort.

Quelque chose qu’on ne peut pas confier à ses proches ou à ses connaissance, mais qui nécessite quand même un grand rapport de confiance.

C’est une tâche qu’on peut exécuter facilement avec la moindre pelle, mais qui est moralement très difficile à accomplir. Le feriez-vous ?

Plusieurs personnes se désistent. Un jeune soldat part en courant, comme s’il avait vu le diable. Un séminariste afghan tente de le dissuader par des préceptes humains et/ou coraniques.

Un vieux professeur, qui donne des cours de taxidermie, se sent plus concerné par cette curieuse demande. Lui même s’est trouvé dans une situation analogue. Il est partagé. C’est son devoir d’homme d’aider son prochain. Pourtant cette requête a quelque chose d’inhumain.

Notre très humble passager, et sage de circonstance, prend donc un chemin médian. Plutôt que faire la morale et d’invoquer des devoirs sacrés, il parle d’une expérience sensible. Il met dans la balance un tout petit fruit. Le parfum d’une mûre ou le goût d’une cerise, c’est comme on veut.

Le chauffeur est plus ébranlé qu’il ne veut bien le dire. Il persiste dans son projet mais montre quelques signes de faiblesse.

Que va-t-il advenir ? Eh bien, comme nous voilà bien ferrés, le réalisateur s’abstient de nous répondre et nous sort du cadre. Désormais on est du côté de la caméra. « That’s all folks ! », comme on dit à la fin des Bugs Bunny.

Kiarostami nous dit par là que personne n’en sait rien, que c’est une affaire personnelle, la plus personnelle de toutes.

Ce petit fruit, avalé ou pas, vaudra à l’auteur une palme d’or. Le jury de Cannes a compris, qu’il a ciselé une œuvre d’art.

Même si le film est plutôt aride, on ne peut que constater que le propos est original et bien mis en scène. Ce récit totalement linéaire utilise peu de moyens. Et pourtant la proposition se révèle on ne peut plus signifiante et percutante.

L’exposé, en forme d’haïku, est délicat et sensible. Il paraît qu’il a sauvé des vies.

On peut aussi dire de ce conte philosophique, qu’il est prudent. Il valait mieux en 1997, chez les mollahs intégristes d’Iran. Le réalisateur a sans doute lui aussi échappé au pire. Il y a des thèmes tabous dans son pays. Son film a d’ailleurs été interdit un temps là bas. Avant que les censeurs se ravisent et comprennent qu’il pourrait être l’ambassadeur d’une certaine complexité, aux antipodes de l’image simplette et brutale qu’on associe au régime de là bas.

Sachez qu’au delà de ces péripéties, les Iraniens forment un grand peuple. J’ai vu cela sur place, il y a bien longtemps. Et la fine diaspora est là pour nous le rappeler.

Si vous voulez vous aussi voyager si longuement à l’intérieur de vous mêmes, pensez quand même à faire le plein.

Je suis bien content de ne jamais avoir nommé le sujet central. Ce n’était pas facile.

Du bon boulot aussi chez cet autre créateur iranien : Trois visages (2018) 8/10

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Go%C3%BBt_de_la_cerise

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