Woody Allen aime Manhattan et cette Diane Keaton qui vit dedans, Mais il ne réussit pas les films éponymes à tous les coups. J’ai « remercié » jadis son Meurtre Mystérieux à Manhattan de 1993, avec ce 4/10. Un ratage de première !
Ce Manhattan de 1979 mérite bien mieux que cela. Allez hop, portons la note à 8/10.
Entre serment pour un amour éternel, petite liaison et gros doutes, Woody Allen nous montre la force et la fragilité intrinsèque des amours citadines. C’est un abord tout particulier, permis par l’anonymat individualiste des quidams des immenses métropoles. On peut aimer égoïstement en se regardant en permanence le nombril.
- Dans les petits villages, chacun scrute tout le monde et l’on se doit d’observer à la lettre les règles de l’obéissance civile.
Le film commence avec cette liaison limite incestueuse, avec Mariel Hemingway, la jeune de 17-18 ans. Il a lui-même un enfant jeune. Il apprécie énormément cette flatteuse conquête, tout en se sentant coupable. Elle est éperdu d’amour pour lui et visiblement sincère. Ce qui permet une sexualité jeune et débordante.
Lui est là en touriste satisfait, tout étonné qu’elle puisse s’accrocher ainsi. Mais il est un peu inquiet tout de même.
Elle remplit de nombreuses cases, mais il reste sur sa faim, faute de maturité. Mariel Hemingway joue étonnamment juste ce rôle complexe. Elle porte sur elle une certaine androgynie qui complique encore un peu plus la donne. On ne peut s’empêcher d’y voir la jolie Christina Engelhardt qui fut la maîtresse de Woody Allen dans les années 70, alors qu’elle n’avait que 16 ans (17 ans est l’âge légal de la majorité sexuelle à New York). Incroyable on aurait donc un autoportrait / biopic. Ça devient chaud, très chaud ! On comprend mieux les interrogations ouvertes, que se pose l’auteur acteur sur ce sujet Lolita (Nabokov est cité).
On retrouve sous un angle inhabituel, ce conflit moral de l’homme plus âgé qui fréquente une ultra-jeunesse. Il est à la fois totalement et fier de sa conquête mais d’un autre côté il se sent une certaine culpabilité. Un dilemme insoluble. Tout au plus, peut-il se réfugier dans l’idée qu’il participe à son éducation sentimentale. Mais dans le cas de Manhattan, on voit bien chez la toute jeune que les enjeux sont très sérieux. Et ce qu’il paraît anodin à Woody Allen est une véritable tempête dans la tête de la gamine.
Après de grandes boucles affectives, le film se termine pratiquement là où il a commencé. Il a poussé la jeune au dehors de chez lui. Ils ont fait une grande pause. Il a eu des déceptions par ailleurs et se retrouve seule. Il commence donc à regretter cet amour massif. N’aurait-il pas fait une erreur avec ce cadeau du ciel qui l’aimait véritablement ?
Entre-temps est apparue Diane Keaton. Il l’a détesté au début, quand elle était l’incarnation de cette intellectuel de gauche accomplie, qui empiétait sur ses territoires. Sans doute que cette « femme savante » était-elle trop comme ce qu’il aurait voulu être. Keaton est une femme fondamentalement très sûre d’elle et elle croise le fer en permanence car elle ne supporte aucune remise en cause. Dompter un tel ” animal “, y compris par les forces brutes de l’amour, peut devenir un but en soi.
- J’en ai connu des comme ça. Et cela fait toujours des étincelles. Difficile d’avoir deux capitaines divergents dans le même bateau.
Cette Diane bouleverse la donne. Le « mal » rampant contamine plusieurs couples. Dans le fond, elle butine où elle veut et ne reconnaît que son droit. Une véritable intellichieuse prédatrice selon certains points de vue. Une authentique femme libérée des mâles toxiques, selon d’autres.
Elle s’impose à Woody, alors qu’il doute de son couple asymétrique. Elle bouscule le couple de son meilleur ami Michael Murphy. Lui même est à cheval (hum) entre son épouse aimée mais qui le somme d’avoir un enfant et cette Diane Keaton qui lui donne de quoi respirer.
Il ne s’agit pas de savoir qui va l’emporter, comme dans n’importe quel film, qui ne voit les rapports humains que comme des rapports de force. Ce qui compte c’est de savoir qui peut obtenir un rééquilibrage suffisant pour qu’une formule de couple tienne. Même s’il y a quelques soubresauts opportunistes, la morale n’a rien à voir chez ces néo-citadins polysexuels.
- Il y a encore chez Woody de vagues interdits moraux. Les mêmes habitent Diane. « On ne fait pas comme ça à Philadelphie ». Ce qui est d’une hypocrisie rare, puisqu’ « elle fait comme cela » justement.
La doctrine de Woody Allen est en faveur d’essais, ce qui était relativement nouveau pour l’époque.
On sent dans ce film une force ascensionnelle, des débats haut de gamme. Ce souffle quasi philosophique, manquait beaucoup dans ses premiers films, au comique dérisoire.
Là c’est à la fois le drame et la Comédie humaine. En amour tout est facultatif et pourtant tout est indispensable. Cette labilité essentielle et sa nature inclassable, en font tout l’intérêt romanesque.
Et puis il pousse le curseur le plus loin qu’il peut. Il introduit Meryl Streep en tant qu’ex femme devenue lesbienne. Elle joue très bien.
Et l’on voit les limites de Woody Allen en ce qui concerne la permissivité et les rivalités de pouvoir. C’est par le livre, un des poumons de Woody, que le mal arrive.
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Manhattan_(film,_1979)