Avis. Résumé. Rosenstrasse (2003) nazisme, amour et voix des femmes. Von Trotta. 8.5/10

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Margarethe von Trotta est un personnage important du cinéma mondial.

En tant que réalisatrice, elle a tracé un sillon bien à elle, dans ce qui était alors une aristocratie essentiellement masculine.

Elle a du jouer des coudes, mais compte tenu de sa forte personnalité, on ne s’en fait pas trop pour elle. Plus essentiel est la composante féminine qu’elle a su insuffler aux films. Grâce à elle est apparu un « nouveau regard ».

Ce récit est impressionnant tant il mêle avec élégance plusieurs niveaux bien distincts. On est ici sur deux continents, deux époques, deux mères toutes particulières, des mariages « mixtes », plusieurs protagonistes et leurs descendants dont les intrications doivent être mises au grand jour. C’est nécessairement de la haute voltige.

Et malgré cette indéniable complexité, Margarethe von Trotta et Pamela Katz ont réussi à faire un scénario qui se tient et nous emporte sans peine.

  • Cette dernière nous raconte ailleurs leur méthode, pour que ce film soit un travail ambitieux mais lisible. Grosso modo, si nos deux concepteurs (conceptrices) n’arrivent pas à se remémorer chaque enchaînement au fur et à mesure que le sujet avance, c’est qu’avant cela quelque chose manque ou est en trop. Il faut que cela tienne dans le mental en quelque sorte.
  • Cet empirisme est visiblement le bienvenu, car dans ces films, en dépit d’une indéniable complexité, il y a toujours une salutaire respiration. Le récit est clair ou le devient facilement. On comprend tout. On n’est jamais laissé en plan malgré les exigences du script.

New York : Ruth 60 ans vient de perdre son mari. Elle totalement concentrée sur son malheur. L’appartement est consacré à une cérémonie mortuaire juive. Cette veuve jouée par Jutta Lampe impose le silence. Elle semble contrariée au-delà de la perte de son époux. Elle ne veut pas que son futur gendre « goy » entre dans ce sanctuaire. On comprend qu’elle est perdue et hantée par ses souvenirs. Les juifs non pratiquants qui y assistent, trouvent qu’elle en fait un peu trop. Mais son attitude incompréhensible, alliée à tant de détermination, impose quand même le respect.

Sa fille Hannah (Maria Schrader ) tente de la sortir de cette torpeur. Elle ne comprend pas les vraies raisons de cette prostration.

Hannah qui respecte sa mère, veut comprendre d’où vient réellement le problème.

  • Ce qui est très fort, c’est d’arriver à nous faire comprendre que Hannah elle même, qui n’est pas impliquée dans les évènements passés (elle n’était même pas née), a besoin également de cette clarification essentielle. D’ailleurs comme elle est toute absorbée, elle rejette vertement son fiancé à ce moment. Lequel ne doit rien y comprendre. Il y a des souterrains féminins qui sont bien cachés aux hommes.
  • Cela a à voir avec ces grandes cultures des “racines” et de “l’héritage”. Quelque chose qu’on a passablement laissé filer ces dernières décennies, tant on s’est fait abuser par ce concept d’être humain “page blanche”.

S’en suit un long voyage initiatique qui passe par Berlin mais aussi par New York chez une vieille Allemande de souche qui pourrait avoir la solution.

De par ce pèlerinage aux sources, elle va entrevoir le parcours incroyablement douloureux de cette maman, dont jusque là elle ne savait absolument rien.

En 1943 sa mère est raflée à Berlin. Elle est en attente dans un centre de la Rosenstraße, où l’on enferme le juif ou la juive des couples mixtes, dont un des membres est un aryen bon teint.

Ces femmes aryennes attendent des nouvelles de leur mari juif enfermé dans un centre ici. Elles ne sont pas directement menacées par les nazis. Mais ils les poussent à divorcer. Dans le cas contraire, elles pourraient bien être déportées à leur tour.

A la dernière minute, devant l’extrême urgence, cette mère qui ne se fait pas d’illusion sur son sort, a incité fortement sa fille Ruth à se réfugier chez n’importe quelle dame qui serait en attente sur le trottoir de cette rue maudite, la Rosenstraße.

Katja Riemann joue une jeune aristocrate issue d’une famille illustre, les von Eschenbach ; Elle est alors très haut dans le milieu artistique, « mais » elle a épousé un grand musicien juif. La pression familiale mais aussi celle des dirigeants nazis devient très forte sur ses épaules. Pourtant elle est loin de laisser tomber son mari enfermé dans le centre de la Rosenstraße. Elle est là comme les autres.

C’est elle qui va recueillir et protéger la petite Ruth.

Une grande partie du film consiste à sentir monter la pression de ces femmes du trottoir d’en face. A leur niveau, il est quasi impossible de faire bouger les choses. Même si leurs manifestations sonores de mères dolorosa sont impressionnantes.

Il y aura aussi des tentatives d’intimidation des nazis pour les chasser. Coups de feu, passages de voitures à toute blinde, menaces à la mitrailleuse.

Margarethe von Trotta met un soin tout particulier à ces scènes, comme on peut le voir dans des documentaires de tournage.

L’aristocrate met tout son poids dans la balance pour récupérer son mari. Elle est même prête à se donner à un haut dignitaire nazi pour sauver son homme (Goebbels). Son frère blessé de guerre sur le front aide également. Mais rien ne semble avancer.

Pourtant un jour, les portes du centre s’ouvrent. Et timidement un a un les captifs juifs sortent. Pas tous. Il y a eu des déportations. Le mari musicien juif (Martin Feifel) revient parmi les derniers.

Ruth ne verra pas sortir sa mère. C’est la première catastrophe qui tombe sur cette petite gamine de 8 ans (Svea Lohde)

Plus tard elle verra également partir sa mère d’adoption (Katja Riemann). Une tante a demandé à récupérer la petite. C’est en quelque sorte une deuxième mère morte pour la petite.

Elle porte donc déjà ce double deuil avec toutes les angoisses de cette sinistre période. Elle verra même une jeune femme se suicider de désespoir.

USA : Hannah sa fille va retrouver la protectrice de sa mère, alors qu’elle était petite. Elle a d’abord été jouée par Katja Riemann et l’est désormais par Doris Schade (90 ans dans le rôle, avec une voix française magnifique – Suzanne Flon ?)

Elle se fera passer pour une journaliste pour avoir son témoignage. Elle parviendra à reconstituer le puzzle. Au détour des questions, l’aristocrate musicienne âgée, finit par comprendre qui est cette jeune femme. Et pour finir, avec le minimum de mots possible, elle lui transmettra une bague qui fut celle de sa grand-mère morte dans les camps.

Elle revient voir sa propre mère pour la délivre de sa prison mentale. La encore les discours sont inutiles. Celle-ci reconnaîtra cet anneau sacré et dira simplement qu’elle lui échoit désormais à elle, sa fille Hannah.

Et sans plus de commentaires elle retrouvera la paix, avec Les Brins d’une Guirlande Éternelle à présent réparés. C’est d’une charge symbolique incroyable.

Le mariage mixte à venir est désormais béni. Il s’inscrit dans l’humanité réconciliable toute entière. Il ne sera pas une nouvelle source de déchirements insupportables.

Une telle prouesse dans le non-dit, n’est pas étonnante quand on connaît le côté profondément divinatoire de notre prêtresse Margarethe von Trotta

  • Elle se reconnaît comme très superstitieuse et a même consulté « la voyante de Fellini » à un moment de sa vie. De nombreux artistes, créateurs, sportifs… qui ont été aux limites d’eux-même, ont touché à cette irrationnalité.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Rosenstrasse

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