Boccace 70. Anita Ekberg, Romy Schneider, Sophia Loren. Fellini, Visconti, De Sica. 8/10

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Profitez de l’alliance de la densité naturelle de grands réalisateurs, de grandes actrices et de la densité intrinsèque des courts métrages.

II) + I) Elle est retrouvée ! Quoi ? L’éternité ? Non, cette séquence intitulée « Les Tentations du docteur Antoine de Fellini ». Un court métrage qui dure quand même pas loin d’une heure !

Je la cherchais partout, tant m’avait plu, cette joyeuse folie illustrée. Plus que le titre que j’avais oublié, il y avait ce refrain enfantin « Bevete più latte ». Ce slogan délicieusement abrutissant me servait de piste. Et je ne me souvenais même plus, que c’était par l’égérie Anita Ekberg, qu’on baignait dans ce Poème de la Mère, certes infusé d’astres mais surtout lactescent.

  • A décharge, ce sketch II ne vient qu’après celui de Mario Monicelli I « Renzo et Luciana » qui est faible, au point qu’on pourrait éteindre sa télé. Ce serait dommage pourtant de louper les trois suivants, qui sont jouissifs. Je ne suis pas le seul à le penser puisque les éditeurs le zappent, lorsqu’ils allègent le film.

Le thème du II : Anita Ekberg et toutes les représentations de la nudité et/ou de la féminité escagassent le très rigide Peppino De Filippo. Ce censeur-né nous donne à voir tout ce qu’il y a de plus caricatural, dans ce nouvel ordre bourgeois, en matière de mœurs. Une mise en perspective pas assez risible pour être vraiment sérieuse. Et pas assez réaliste pour être tristement édifiante. Un entre deux très fellinien.

Il n’y a pas loin entre cette petite roche Tarpéienne, glissée dans nos chaussures, et le fascisme rampant des temps anciens. La critique et l’art de la dérision en sont donc assez faciles.

Coincé dans ce carcan moral, notre homme étriqué, est tellement poussé dans sa monomanie, qu’il en devient vraiment frappadingue.

C’est l’occasion pour Anita de sortir de l’écran, pour le tenter au-delà du raisonnable. La voluptueuse fait le job, en tant que géante, dans un urbanisme mussolinien. Mais je la trouve toujours « too much » quand elle est filmée par Federico. Comme dans La dolce vita. Il est comme cela, on ne peut pas lui en vouloir d’aimer le double frisson de la beauté qui fait peur. Pourtant un péplum commun comme Sous-le-signe-de-Rome peut davantage lui rendre grâce. Étonnant !

L’ensauvagement contre lequel se bat désespérément le Docteur, est souligné par la présence d’un groupe de musiciens noirs, qui renforcent à leur manière le rythme et la mélodie de l’air de « Bevete più latte ». Lors de la sortie du film, on pouvait encore faire une sorte de pont entre l’animalité et la « race » ; ici pour s’en moquer bien sûr.

Fellini a du mal à contenir l’hyperbole. C’est pour cela qu’on l’aime. Ici il pousse la courbe en direction de l’infini, avec une Anita démesurée qui côtoie les cimes de ces immeubles ; pas laids bien que fascistes.

On se demande bien où a été se cacher Boccace (13131375 ), tant c’est transposé.

III) On doit le troisième sketch « Le Travail » au grand Luchino Visconti. Ce noble sait nager dans les hautes sphères et nous donne souvent à voir des intérieurs et des personnages luxueux. Mais la critique sociale, bien que discrète, n’est jamais très loin. Il crache sur la cuillère en or qui lui servait de tétine. C’est l’époque d’après guerre avec son balancier anti-fasciste qui veut cela.

On ne voit pas venir tout de suite la jeune épouse figurée par Romy Schneider. Et dans ce jeu subtil entre l’utilitaire, les conventions, le souffle libertaire et les sentiments éternels, elle fait merveille. L’histoire est simple en apparence. Le comte Ottavio est un jeune premier qui a les faveurs de la presse people. Richissime, il se laisse vivre, secondé par une armada de spécialistes en tout genre. On est au niveau des Bettencourt. Pour des raisons fiscales il a transféré son patrimoine sur Romy, qui fait office de prête-nom. Là il se fait coincer par les paparazzis avec des prostituées de luxe. Que va faire sa femme ? Peut-on l’influencer ? Romy en tire la leçon qu’elle doit « travailler » à présent ; sans trop savoir ce que ce mot veut dire. De fil en aiguille elle finira par choisir le métier de call-girl auprès de son mari. C’est bien entendu une regrettable provocation. Tout le monde est perdant dans ce funeste deal. Sauf le spectateur qui profite de la palette raffinée de Romy Schneider. Encore une actrice qui change du tout au tout en fonction de la lumière qu’on apporte. Avec cependant un immanent existentiel qui transparaît et qui est lui-même évolutif en fonction de son âge et de son expérience grandissante. On est déjà loin de la lumineuse insouciance de Sissi (1955). On accompagne ici, l’éclosion d’une femme d’exception. Visconti sait parfaitement en rendre compte. Il y aurait aussi la patte de Guy de Maupassant avec son Au bord du lit là derrière.

IV) La troisième pointure de cinéma, se trouve dans La Loterie de Vittorio De Sica. Un jeu d’argent dont une Sophia Loren grandiose est le lot unique. Elle sort de l’écran et nous apporte tout ce dont un homme peut rêver. Ce monde de “nains” est à ses pieds, tant ces hommes de petite condition, ont flairé la déesse qui est en elle.

Une telle grâce, s’adapte à toutes les situations, à toutes les époques. On peut aimer ou non son étonnant faciès, mais son jeu considérable impose le respect. Ici, elle s’extrait de la fange et se montre tel un félin magnifique. A nouveau parfaitement propre sur sa personne, malgré la jungle qu’elle a été contrainte de pratiquer. Le thème de la Loterie est assez redoutable de part les extrêmes qu’il nous montre. Mais il faut être un Vittorio De Sica pour nous amener là sans qu’on se sente piégé dans une farce.

V) J’en profite pour parler d’un autre sketch de Federico Fellini « Toby Dammit ou Ne pariez jamais votre tête avec le Diable » provenant d’un autre film, les Histoires_extraordinaires_(film,_1968), où Terence Stamp (celui de Théorème ) est génial ? Une « oeuvre » courte et dramatique, qui a le don de me faire le même incroyable effet que le plus rigolo « Bevete più latte ». Encore une histoire de folie, mais surtout un rythme entraînant, avec une redoutable course vers l’abîme, ici aussi.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoires_extraordinaires_(film,_1968)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Boccace

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