Boulevard du Crime. Arletty condamnée. Avis film Carne. Enfants du paradis. 7/10

Temps de lecture : 5 minutes

Critique en deux parties.

  1. Boulevard du Crime. Arletty condamnée. Avis film Carne. Enfants du paradis.
  2. L’Homme blanc. Avis film Carne. Bardèche et Brasillach. Enfants du paradis.

Ce film a un côté saltimbanque pour de vrai. Et pas seulement parce que tous les métiers du spectacle de rue et des alentours y sont exposés.

Les scènes primordiales des Enfants du Paradis (1946) – Sur le boulevard du Crime campent avec force les diverses situations sentimentales dans lesquelles va se retrouver le personnage d’Arletty.

Et Arletty est elle même au centre de bien des ambiguïtés.

Je me copie / colle :

[A la Libération] Arletty est sans doute celle qui a le moins de chose à se reprocher. Pourtant elle sera une de celles qui sera le plus inquiétée. Les Français ne pardonnent pas que leur comédienne préférée ait choisi de coucher avec un officier supérieur allemand. Ce qui pour le bon peuple est l’ultime trahison. Il se sent cocu. On n’y peut rien, c’est viscéral chez notre peuple latin ! Et comme elle est provocatrice, elle ne fera pas profil bas. Cet amant Hans Jürgen Soehring est un proche de Göring.

Elle ne se rend pas du tout compte de l’implication politique de tout cela. Elle se voit au dessus de la mêlée. Et en effet elle n’a vraiment profité de ce surplomb. Elle a même refusé les passes-droits. Elle n’a pas collaboré.

Elle aurait dit ces bons mots là : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! » et « Si vous ne vouliez pas que l’on couche avec les Allemands, fallait pas les laisser entrer »

Comparez aux autres, elle fut assez sévèrement punie. Au delà du blâme, elle avait l’interdiction de faire du cinéma ou autre pendant trois ans. Un arrêt de mort pour une actrice. Elle s’en remettra quand même. Elle gardera des liens avec Soehring encore quelques années, mais de manière plus discrète.

***

Le terrain est mouvant. L’actrice principale est en train d’être sérieusement inquiétée. Arrêtée pour coucherie avec l’ennemi fin 1944, elle sera surveillée et cloîtrée dans sa résidence pendant 18 mois. Cette forte femme au cul international est sans doute la moins coupable des artistes de l’époque. Pourtant c’est elle qui en prend plein la poire.

Le film a été fait pendant l’occupation, mais il est diffusé en 1945 à la Libération. Le générique s’empresse de dire que Kosma (compositeur juif) et Trauner (décorateur juif) y ont travaillé en cachette. Ce qui vaut certificat de résistance ?

***

Dans ce climat de censure et d’autocensure de l’Occupation, les cinéastes privilégient la neutralité historique et l’idéalisation poétique. On a droit à un regard enfant de la balle, avec un bel exposé des prouesses du spectacle de rue et des scènes populaires toutes proches. Bien qu’il est dit à plusieurs reprises que la Liberté est chérie, cela n’a pas valeur de message résistant caché.

Boulevard du crime :

Arletty est aimée par 5 hommes.

Le dernier est le plus difficile à convaincre. C’est le spectateur masculin. Ces adorateurs de l’icône d’avant-guerre voient bien que cette ancienne « jeune femme » est à présent un peu mémérisée. Certes elle a de beaux restes, mais elle n’est pas tellement en mesure de déchaîner les passions « amour à mort » que suggère le film. Je sais, je suis cruel en disant cela. Ce n’est pas encore la femme de 50 ans, dédaignée par Yann Moix. Mais les 46 ans de jadis valent sans doute quand même les +50 de maintenant.

La période autour de la Libération ne lui convient pas si bien que ça et ses répliques en vrai lors de son passage au tribunal sont plus fortes que celles que lui crée Jacques Prévert.

Confer : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! » et « Si vous ne vouliez pas que l’on couche avec les Allemands, fallait pas les laisser entrer »

Le premier des 5 hommes amoureux d’Arletty, c’est le Pierrot lunaire le personnage le plus agaçant que l’on puisse voir sur les planches. Et pourtant on se doit de le mettre en première place pour paraître initié. Chemin faisant on verra une déferlante de ces Pierrot gnangnans.

Bon là c’est Jean-Louis Barrault et donc ce grand comédien rattrape la situation, surmontant brillamment ce handicap d’être forcément silencieux et donc de paraître poétiquement benêt. C’est un mythe tenace que la force présumée du tendre introverti et passif. Malgré la licence poétique on se demande bien ce qu’elle peut bien lui trouver.

Confer Musset.

Laërte voulant démontrer à Silvio, qu’avec les femmes il faut se démener :

Les femmes cependant demandent autre chose.

Bien plus, sans les aimer, du moment que l’on ose,

On leur plaît. La faiblesse est si chère à leur cœur,

Qu’il leur faut un combat pour avoir un vainqueur.

A noter que notre grand mou rêveur donnera quand même le coup de poing à un sbire de Lacenaire. Baptiste Deburau est un personnage réel, mais il est d’origine bohémienne lui.

Le deuxième homme. On pourrait dire même le deuxième archétype d’homme, c’est Pierre Brasseur. A 39 ans, il a en lui tous les germes de cet immense comédien, fier et dominateur. Il est là sautillant et plein de fougue , mais par la suite il deviendra plus massif, plus statique, plus efficace et plus impressionnant. Frédérick Lemaître a bien existé.

Le troisième homme est le moins crédible. C’est Louis Salou, ce comte d’opérette Édouard de Montray. Il incarne cette fiction de l’esprit noble et avisé mais qui n’hésite pas à mettre sa fortune au pied d’une actrice, d’une gitane, d’une l’affranchie, d’une belle bête sauvage. D’emblée on sait qu’il va se faire couillonner. Ces rôles fantoches sont ainsi. La grandeur à dilapider pour les yeux d’une belle, ne coûte que de la monnaie de singe au cinoche. Pourquoi s’en priver ?

Elle ne lui donne rien à part le « paraître ». Et pourtant, les années passant, il reste étrangement accroché et possessif. Je ne crois pas du tout à ce personnage. C’est juste l’occasion populiste de nous dépeindre un aristocrate hautain, qui incarne tout ce que la plèbe déteste.

Le quatrième, c’est Marcel Herrand en Pierre-François Lacenaire, une figure historique dont les spécialistes disent qu’ici, il n’est pas du tout convaincant. Mais les historiens n’ont rien à faire dans cette fiction. Ouste, dehors ! Nous, on se contrefiche qu’un tel personnage puisse avoir été trahi par ses auteurs. D’ailleurs qui détient vraiment la vérité avec ce criminel ?

Lui n’aime personne et peut-être pas lui-même. Il considère Arletty comme une proie à arracher à ceux qui la convoitent si fortement. Pas qu’il la désire vraiment, mais parce qu’il jouit de la soustraire aux autres. C’est le seul attrait qu’il lui trouve. Et ce n’est que quelques années plus tard, dans L’Homme blanc, qu’il parle un peu moins de lui-même.

Ce pervers narcissique, c’est un peu aussi nous-même ; comme pour les traits psychologiques de tous les autres hommes qui se passionnent pour Arletty. Autant de facettes, autant de sujets d’introspection.

Herrand avec sa tête à la Jean Moulin, joue les traîtres et les méchants, alors que dans la vraie vie, son parcours est sans tâche. Comme quoi l’habitus ne fait pas le moine. J’aime bien ses postures nihilistes et anarchisantes, bien que je ne les partage pas.

Critique en deux parties.

  1. Boulevard du Crime. Arletty condamnée. Avis film Carne. Enfants du paradis. (vous êtes ici)
  2. L’Homme blanc. Avis film Carne. Bardèche et Brasillach. Enfants du paradis.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Enfants_du_paradis

https://fr.wikipedia.org/wiki/Arletty

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Fran%C3%A7ois_Lacenaire

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