Documentaire, Champs de bataille, Vieil-Armand. Filloux, Gaz combat, lance-flamme. 7/10

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L’histoire nous est d’autant plus sensible, que d’importants évènements se sont situés dans un territoire qui nous est proche.

Le Hartmannswillerkopf est à peine à trente kilomètres de Mulhouse. Lieu où je réside dans ma casemate à demi planquée, dans une mini-forêt.

Et bien entendu, nous avons visité en long et en large, ce lieu évident de « balade ». Il est aisément accessible, car il occupe un des premiers contreforts des Vosges, versant alsacien. Et bien sûr, c’est aussi « un lieu de mémoire », comme on dit maintenant.

J’y ai amené mes deux garçons, alors qu’ils étaient encore bien jeunes. J’ai pensé mieux comprendre moi même, en ouvrant une double fenêtre temporelle. L’une étant orientée vers feu mes grands parents, qui ont connu cette guerre, et l’autre vers mes fils qui sont encore plus à distance de la « chose ». Sous cette double tension, j’espérai qu’enfin un déclic se produise. En tout cas pour moi. Je n’attendais pas que des jeunes de 10 ans se sentent concernés au plus au point.

Déjà, pour ma génération, la Grande Guerre ne signifiait plus grand-chose. Il y avait bien des jours fériés attenants et les commémorations régulières, avec ces vieux soldats enrubannés – calot obligatoire – qui nous semblaient quasi une espèce à part. Sans doute avaient-ils été toujours vieux.

La loterie nationale évoquait encore les « gueules cassées ». Mais ce terme était pour nous totalement théorique.

Ce n’est que bien plus tard, grâce à de bons reportages, qu’on a pu constater enfin ces mutilations dans toute leur étendue. Et encore, leur impact sur nos petites cervelles, demeurait ambivalent.

Certes leurs délabrements terrifiants, imposent le « plus jamais ça » au premier regard. Dur de mettre en face dans la balance, l’apologie des « jours de gloire » sanglants, de notre hymne national. Mais bien sûr cela se discute, même chez les plus dangereux pacifistes.

On voyait cela de très loin, sans même les a priori anti-militaristes de nos jeunes années. Non, c’était vraiment un autre monde, moins prestigieux que les guerres quasi virtuelles d’Alexandre-le-grand, moins emballant que les guerres picrocholines que nous engagions gamins, avec nos pistolets en plastique dans la cour.

La deuxième guerre mondiale, imposait par contre le respect. C’était obligatoire, dans la mesure où l’on pressentait qu’elle était bien réelle, puisque nos parents l’avaient connu. Mais là c’était pour nous une position de principe. Il n’y avait rien à discuter.

Nos géniteurs étaient très jeunes alors et n’ont pas pu nous relater tant d’anecdotes que cela. Ils en étaient eux-mêmes passablement dégagés. Leur histoire, celle qu’ils aimaient raconter, c’était un autre période, plus « glorieuse » (30 fois).

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Une fois arrivé dans la zone, le reste du périple se fait à pied. Le lieu le plus emblématique n’est pas accessible en premier. Il faut d’abord traverser un morne cimetière militaire.

Pour des enfants, ce n’est qu’un long obstacle supplémentaire, avant d’avoir droit aux nombreux restes du conflit enterré. Le moindre morceau de fil de fer d’époque, leur semble plus gratifiant que ces croix blanches, trop bien rangées comme à la parade. Et au fond d’eux-mêmes, ils espèrent trouver un de ces fusils à demi enterré.

Et pour nous adultes, ce n’était pas plus parlant qu’une de ces plaques commémoratives de l’ancien temps, avec ces noms qui ne nous disent plus grand chose. Je n’ai jamais éprouvé d’émotion particulière, lorsque j’étais confronté à une dalle funéraire, même en m’efforçant à la contrition.

Ne soyez pas choqué par ce que je viens d’écrire. Pour moi l’histoire ne se vit pas juste avec de postures, un respect théorique et toutes ces sortes de choses.

Nous avons donc arpenté ce chemin de douleur, dont on dit que ce fut un des pires mouroirs de cette satanée guerre. Il y a là sur une petite surface un nombre incroyable de décès, de blessés et de prisonniers. D’ailleurs de lieux commémoratifs de la sorte, il n’en existerait que 3 en France, dont Verdun. 30 000 soldats français et allemands ont subit un mauvais sort sur cette funeste colline.

Mais de tout cela, on n’en voit plus que le cadre. Il reste un labyrinthe foutraque, à taille humaine, qui est un vrai plaisir pour les enfants.

De ce qu’on peut comprendre immédiatement, c’est l’incroyable proximité des lignes. Entre les ennemis, il n’y avait que quelques dizaines de mètres et parfois moins. Ce qui a donné l’illusion que l’on devait venir à bout des gars d’en face assez facilement. L’intuition était qu’avec une bonne artillerie, des canons de grande taille, on aurait raison de l’adversaire rapidement. Et que le combat rapproché finirait le travail. C’était vrai, hormis le fait que les gagnants du moment, reprenaient la position exposée des vaincus. Et donc ils allaient être chassés tôt ou tard à leur tour… and so on.

Ce manège infernal est résumé dans le documentaire par la lecture d’une lettre d’un soldat. « 50 morts pour arriver à prendre la place, 50 morts pour la garder, 50 morts pour la perdre, 50 morts pour la retraite… etc »

30 000 soldats français et allemands (tués, blessés et disparus). Dont Français 7 465 victimes, soit environ 50 % de l’effectif attaquant, dont 1 103 prisonniers. Les Allemands subirent 4 513 pertes, dont 1 700 hommes faits prisonniers.

La vue de la plaine d’Alsace du haut du Hartmannswillerkopf est magnifique. Elle donne un sentiment de toute puissance. Et c’est sans doute cette sublime subjectivité qui a amené les belligérants à livrer bataille si longuement ici, alors que le lieu n’était pas si stratégique que cela.

Le Monument National du Hartmannswillerkopf est un musée qui se visite. Mais il est froid comme un flyer géant. C’est la malédiction de bon nombre de ces structures. Il est difficile d’avoir une approche « viscérale » du conflit à partir des ces « souvenirs ».

Le reportage « moderne » et inspiré, de la série « Champs de bataille » est susceptible de réveiller nos sens et notre intelligence. Il est assaisonné de quelques judicieuses images dynamiques 3D, comme pour ce Mortier de 370 modèle 1914 Filloux.

L’approche est très technique, ce qui encourage une réflexion débarrassée de pathos. Je suis plus circonspect pour cette curieuse « reconstitution » d’un assaut par le 152e régiment d’infanterie, avec armes ultramodernes à la main.

Mais le discours factuel du commandant, montre que nos gradés sont compétents. Et c’est une bonne nouvelle, dans ces temps où l’on nous dit qu’on ne tiendrait que quelques jours dans une guerre chaude.

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Il se pourrait que les Français aient raté le coche à un moment. Lors d’un assaut enfin efficace, ils ont réussi à dégommer la plupart des structures ennemies, mais ils se sont arrêtés sur ordre à petite distance du siège du commandement allemand. Décision incompréhensible. De fraîches troupes « boches » sont revenues reprendre la position.

Les Allemands auraient été en supériorité logistique. Déjà leur dépôt était directement en bas de la colline dans la plaine. Ils n’avaient pas à faire un grand circuit dans les Vosges. Ensuite, ils ont beaucoup travaillé à fortifier leurs positions. Eux avaient de murs en béton et des excavations habitables dans le granit. De surcroît, ils ont monté un téléphérique bien utile.

On peut rajouter à cela la nouvelle trouvaille, le lance-flammes, ainsi que les infâmes gaz de combat.

On se demande donc pourquoi ils n’ont pas eu le dernier mot.

***

Comme pour ce fameux Noël en pleine guerre où les deux camps ont pactisé un moment, dès que l’armistice fut proclamé, les soldats des deux bords se sont serrés dans les bras les uns les autres. Tout cela pour en arriver à reconnaître les vertus de la fraternité !

Fraternité à jamais provisoire, vu que cela ne les a pas empêché de recommencer en 39-45.

Anecdote assez drôle et humaine, que je n’ai pas vu dans la projection, mais sur Internet : Sur une figuration corporelle, le Vieil-Armand étant considéré comme en haut de la zone pubienne, se dessinent deux cuisses, avec une gorge nommée entre-cuisses au milieu et puis s’étale très logiquement une fesse droite etc. Ces métaphores sont d’époque.

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Fuyez comme la peste les bandeaux Internet qui dominent le classement Google et qui commencent ainsi :

21 décembre 1915 : des dizaines de soldats français montent à l'assaut du sommet d'un promontoire rocheux dominant la plaine d'Alsace …

Il n’y a rien derrière ces messages qui se recopient l’un l’autre et qui voudraient vous faire payer l’entrée pour si peu.

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https://www.memorial-hwk.eu/

https://en.wikipedia.org/wiki/Mortier_de_370_mod%C3%A8le_1914_Filloux

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