Femme sans visage. Bonheur, amour et sexe suédois. Gunn Wållgren. Molander-Bergman : Couple malheureux. 7/10

Temps de lecture : 5 minutes

Il n’y a pas d’amour heureux ?

Ce n’est un secret pour personne, à partir des années 30, c’est la Suédoise qui porte la culotte.

L’homme n’est plus qu’un jouet entre ses mains. Et s’il persiste quelques épouses old-school, dévouées et discrètes, quelques gredines profitent de leur avantage pour s’amuser « hormonalement » avec les hommes, au point de leur faire perdre la tête.

C’est ce qui transparaît chez cette femme sans visage… dont paradoxalement, on ne voit que le visage.

Pour cette nouvelle génération qui suit les années folles, les femmes un tantinet garçonne mènent la danse, sur l’air de « la femme dispose ». Au cinéma, la cause est entendue.

Ce qui n’empêche pas ces femmes, de se révéler plus fragiles, quand ils sont amoureuses ; une petite exception, en forme de modeste concession au public mâle.

A part cela, il persiste encore dans la génération précédente, quelques patriarches, dont les crocs toxiques sont quand même passablement émoussés. Espèce en voie de disparition, en tant que pater familias, en particulier en raison des faiblesses coupables, qu’ils ont pour leur(s) fille(s). Le verre à moitié plein est dans le fruit.

Une bonne partie de la démonstration de ces nouveaux rapports de force, est flagrante pour le film qui nous occupe ici. Mais les antécédents sont nombreux sur pellicule, en particulier chez le même réalisateur Gustaf Molander, dont son fameux film L’Entrée de service, 1932, avec la divine Tutta Rolf, que j’ai tant apprécié (le film et la femme).

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Le film est volontairement complexe, et truffé de flashbacks, car il faut savoir nous occuper pendant une centaine de minutes. De part sa construction alambiquée, qui voudrait ménager certains suspenses, on est vite dérouté.

S’agit-il d’un thriller, d’une romance, d’un scénario psychopathologique… ?

Mais remis dans le bon sens, l’histoire assez simple finalement, à défaut d’être parfaitement crédible.

La donne de départ consiste en la rencontre foudroyante et les itinérances, de deux êtres torturés, en quête de révélation. Ils aspirent à des « soins » radicaux pour conjuguer leur malheur.

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Alf Kjellin est un bel homme, marié avec enfant. A priori il s’agit d’un de ces couples installés, comme on en voit tant.

Mais sans doute que sa vie est trop sage et qu’il n’a pas tout le bonheur souhaité, avec sa douce épouse Anita Björk (La Grande Frida – jeu de mot sur son nom de scène). Un classique d’incompréhension lorsque que l’amante des débuts se transforme en maman. Et que la routine éteint la passion…. Et sans doute que le vilain mari, tue le prince charmant (Nougaro).

C’est là qu’intervient le catalyseur des plus vives émotions, en la personne de Rut Köhler, jouée par la surprenante Gunn Wållgren. Avec ces bouillonnants 34 ans, sa bouche pulpeuse, son port de vamp et son sourire qui fait des avances, quelques délicieuses failles apparentes, sa claire volonté de faire les premiers pas, peu d’hommes lui résistent. Et notre homme rangée, qui attend le bonheur parfait, se défend encore moins que les autres.

  • Elle se doit de consommer, tous les hommes musclés qui passent par là. Le genre de fantasme féminin du livreur de pizza, du marchand d’aspirateur…

Pour tenter de comprendre, il faut mettre sur la table, une carte qui n’est présentée que tard dans le film. La jeune femme de belle apparence a été perturbée sexuellement par l’amant de sa mère, lorsqu’elle avait 12 ans. Le récit parle d’une main glaciale sur son sein naissant, mais on doit deviner qu’il s’agit d’un acte complet. C’est plus crédible, pour qu’elle puisse être si totalement perturbée, jusqu’à l’âge présent.

Avec ce psychologisme raisonnable, typique de la fin de la guerre (Hitchcock, en abusera) on peut enfin comprendre que ces rapports avec les hommes soient si bizarres. Elle ne cesse de collectionner de conquêtes « charnelles » qu’elle abandonne aussitôt. Dont un « ramoneur » – les lacaniens qui jouent sur les mots, feront ce qu’ils voudront (hum) – .

Elle tombe à présent sur ce bellâtre marié, qu’elle désire a priori autant qu’un autre. Ce ne serait qu’une énième répétition de ses relations fugaces et torturées du passé.

Mais en fait cette fois, ça pourrait être la bonne, car elle pourrait partager sa souffrance pour mieux s’en extirper. Un amour véritable, certes avec une intensité fortement sexualisée. Une dynamique qui pourrait lui faire franchir une grande étape vers la résurrection ; le passage du sexe pur qu’elle pense thérapeutique, à une relation dite « adulte », mais pleine.

Mais vu du dehors, on pourrait penser qu’elle veut le détruire, l’amener à sa perte. Elle lui fait fuir le foyer conjugal, ce qui est un indice à charge.

Elle ne semble pas sérieuse. Et de part l’attente qu’elle instrumentalise au plus au point, l’impétrant bouillonnant, n’en peut plus. Il lui la faut. Elle l’aura. Leur « nuit » est décrite avec un maximum de superlatifs. Grâce, ou à cause, de cette révélation du plus intense bonheur, il fera tout pour la conserver.

Avec cette « addiction » démarre une descente sociale aux enfers. Il n’en est plus aux banals mensonges, pour masquer son idylle adultérine. Il abandonne abruptement sa petite famille. Ça doit remuer dans les chaumières et les saunas scandinaves ! Même Stig Olin, son « ami » et alibi de circonstance, n’y peut rien.

Ça ira de mal en pire (pie). Il sera appelé sous les drapeaux en tant que conscrit, et ce pour quelques mois. Cela n’éteindra pas le feu.

Rapidement, il n’en peux plus. Il désertera. Avec ce « suicide » social, il rejoindra sa belle au détriment de son épouse, de son enfant.

Et quand il croit toucher au bonheur il le broie (Aragon – copyright).

Compte tenu, des hommes et de fantômes, qui apparaissent autour de cette femme fatale, il ne peut être que jaloux. Et cette jalousie morbide finira par empoisonner cette relation. Et lorsqu’il en viendra aux mains, Gunn Wållgren sera sincèrement effrayée. Elle décide de mettre de la distance.

Le temps passe. Chacun pour soi. En ce qui concerne Wållgren, l’efficace « ramoneur » est en embuscade. Ce n’est pas gagné. Et Gunn Wållgren semblent revenir à ses vieux démons. Elle réclame vengeance, au prétexte que dans l’entrepôt miteux, où ils se clochardisaient, son Alf Kjellin l’a abandonné. Alf, qui pensait alors que sa Gunn chérie se prostituait, veut en finir… avec lui-même. Ah, les femmes !

Au final, ce garçon sera récupéré. Il rejoindra la société dite « normale ». On lui pardonnera ses mauvaises actions, dont sa désertion, pour de vagues raisons de santé mentale.

Mais il doit partir loin du feu, un moment. C’est là que les deux femmes surgissent sur le quai de gare pour dire au revoir… ou adieu ?

Elles pourraient s’affronter, pour tenter de récupérer le bonhomme, mais elles vont se réconcilier. Il faut y voir une sorte de compréhension « maternante », pour tenter de rapiécer cet homme déchiré.

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Le film tient principalement sur les épaules et la frimousse (oui, elle a un visage, et on ne voit que lui) de Mme Wållgren. Comme jadis ma « chérie » virtuelle Tutta Rolf porta le film L’Entrée de service, 1932.

Wållgren n’est pas Rolf. Et on pourrait penser que son jeu s’égare parfois. Mais ces « vagabondages » voulus ou non, servent l’idée d’une personnalité éclatée. Et donc cela matche au final. On ne pas lui reprocher.

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A noter que Ingmar Bergman a mis du sien dans le film, en tant que coscénariste, en association avec Molander. Il est possible que ce film, qui paraît tiré parfois à hue et à dia, ait souffert de cette double chefferie.

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https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Femme_sans_visage

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https://www.poesie-francaise.fr/louis-aragon/poeme-Il-n-y-a-pas-d-amour-heureux.php

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