Avis, résumé. L’Entrée de service. Meilleur film suédois 1932. Tutta Rolf. Romance de qualité. Génial Molander. 8/10

Temps de lecture : 7 minutes

« LEntrée de service » est un film suédo-norvégien de 1932, d’une incroyable modernité, dans le sens le plus plaisant du terme. On le doit au réalisateur précurseur Gustaf Molander.

Dans ce début des années 30, la production mondiale était très inventive, mais on ne s’attendait pas à cette révolution là dans ces lointains pays nordiques.

  • Pourtant dans de nombreux coins du monde « civilisé », on entreprenait des œuvres qu’on pourrait presque qualifier d’expérimentales. On peut citer le Testament du Docteur Mabuse (F. Lang) (1933), M. le Maudit (1931), le pari fou de l’extrême diversité dans le Freaks de Tod Browning (1931), La soupe au canard (1933) des Marx Brothers, La Lumière bleue de la nazie Leni Riefenstahl (1932), L’Âge d’or du libertaire Buñuel (1930)…

Quelle petite merveille que ce film du début des années 30. C’est à la fois beau, intelligent, pétillant, délicieusement grivois et très bien fait.

  • Notre pauvre cinéma français actuel pourrait en tirer bien des leçons. Il ne suffit que de se pencher sur le passé pour ramasser. Mais même de cela, nos fumistes goinfrés aux subventions, n’en sont plus capables.
  • On est loin du wokisme et de l’ultra féminisme dans ce récit. Et pourtant les jeunes femmes sont ici très dégourdies, coiffées à la garçonne et pleines d’allant. Ce sont elles qui font les premiers pas. Elles mènent la danse avec subtilité et un grand sens stratégique. Rien à voir avec nos femelles militantes mononeuronales, aussi rudes et lourdingues que des bulldozers.

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Le titre varie selon les pays, dans le nord il est du type « Nous qui prenons la route de la cuisine » (comprenez la petite porte de derrière, qui amène directement à la cuisine et qui est destinée aux fournisseurs et aux employés)

L’histoire s’apparente à un conte.

Helga, cette belle jeune fille, s’ennuie dans sa famille bourgeoise. Celle qui est si bien jouée par Tutta Rolf, rêve de rejoindre Paris. Peut être pour y faire carrière, bien qu’elle n’ait aucune expérience en quoi que ce soit.

  • Il faut dire qu’à l’époque notre fortunée capitale, était une sacrée référence. Mon dieu pourquoi depuis sommes nous tomber si bas ?

Son père possède une usine de fabrication de motocyclettes, autrefois leader. Mais là elle ne marche plus aussi bien. Il estime donc que l’escapade française de sa fille serait une dépense inutile.

A priori, la belle Tutta pourrait passer pour une velléitaire écervelée.

Elle fait partie d’un groupe de copains, représentatifs de la jeunesse dorée. Les différences sociales sont bien tranchées. Et ce, tout particulièrement avec le personnel de maison.

Et dans ce milieu de privilégiés, on n’est pas a une provocation près.

Cette fille oisive, qui n’a ni expérience, ni formation, serait-elle au moins capable de faire un travail de bonniche ? On n’a vraiment pas l’impression qu’elle saurait laver des assiettes ou préparer un petit déjeuner. Et on voit mal cette somptueuse créature, en train de récurer les toilettes.

Néanmoins, cette question « fondamentale » fait l’objet d’un pari. Elle devra faire la bonne, au moins un certain temps.

La petite dégourdie ne se dégonfle pas et postule pour une annonce, puis une autre. Et effectivement, elle n’est pas très douée pour le ménage. Chemin faisant, elle se trouve à nouveau dans une maison bourgeoise, avec des propriétaires friqués et une idéologie proche de celle qui prévaut dans sa maison familiale. Comme un poisson dans l’eau. Mais elle doit s’efforcer de ne pas savoir nager.

Ici, elle est tout en bas de l’échelle. Il faut à tout prix qu’elle dissimule les apports de son éducation, dont la connaissance des langues, l’aptitude au piano et sa science des jeux de rôles dans la bonne société. Car découverte, elle perdrait son pari.

Et cette coquine si vive et si charmante, se fait vite adopter, par le personnel. Elle partage sa chambre avec une grosse cuisinière Karin Swanström, qui elle a de la bouteille. Elle connaît son monde, façon downton-abbey.

La jeunette démarre mal. Elle casse pas mal de chose et réussit à faire une mayonnaise à l’huile de ricin ! L’arme fatale diarrhéique, des fascistes italiens.

Mais elle fait vite des progrès dans le service, et acquiert même une belle aisance dans la soumission feinte. Elle parvient à une probante dextérité, déplaçant les plateaux comme une professionnelle. Cela s’annonce bien.

Encore maintenant, la « Suédoise » a sa réputation. Rapidement, cet exemplaire bouillonne et en pince pour le chauffeur, qui lui aussi est un déclassé provisoire.

En réalité, c’est un petit ingénieur qui rêve d’avoir sa propre fabrique de motos. Il est doué et il a le projet d’un moteur amélioré. Son ancien patron ne lui a pourtant pas laissé sa chance. Le voilà en free-lance avec un petit boulot.

Les destins de ces deux pièces rapportées sont donc croisés.

D’un côté, on est en présence de la fille du gros fabricant de moto qui joue la prolétaire et de l’autre un jeune plein d’espérance quant à l’avenir de ce véhicule, mais qui lui est là, car il n’a pas le choix.

Le jeune homme est sincère, presque naïf, et ne cache rien. Mais elle se doit de rester dans son inavouable mensonge.

Elle ne connaît pas la relation commerciale de ce beau garçon plein d’avenir avec son propre père ; le dirigeant de la firme des « vroum vroum » pétaradants.

Ce fut un de ses employés. Il a claqué la porte, puisque ce patron dépassé, ne voulait pas admettre ses idées. Tout cela est un peu compliqué, mais c’est un cadre qui permet de belles envolées.

Et il n’y a pas le pathos habituel, si classique dans ce genre de situation, où l’on s’aime, mais on s’est menti. Très XVIIIème !

Le jeune homme joué par Bengt Djurberg est coriace. Mais la fille est encore plus tenace.

  • Mais qu’est-ce qu’elle est mignonne et pleine de sex-appeal à la fois ! Quel homme in corpore sano ne craquerait pas ?

Ce qui doit arriver, arrive forcément quant on se fie à la toile d’un cinéma.

Rapidement, ils sont quasi dans les bras l’un de l’autre. Lui a plus de réserves cependant.

Mais la situation est plus compliquée qu’il n’y paraît. Anne-Marie Brunius, la fille cadette de ce nouveau foyer, n’est pas du tout moche, elle non plus. Elle a également des vues sur ce séduisant chauffeur. Le besoin semble même pressant. Pourtant elle sent bien que sa proie pourrait bien lui échapper.

Elle voit d’un très mauvais œil les approches de la bonne Tutta, si pleine de qualités et de promesses. Il faut faire vite. Elle n’aura de cesse que de trouver des défauts à l’impétrante.

Le climat se tend d’autant plus qu’une broche a disparu. L’entourage plein de préjugés sur les basses classes de la société, s’imagine très facilement que le chauffeur et la nouvelle bonne pourraient être les responsables. Et ce d’autant plus qu’ils ne semblent pas à leur place. Des aventuriers voleurs ?

Cette mauvaise intuition prend de grandes proportions et s’étend à toutes les dames de cette famille.

À l’inverse le vieux père de cette famille dans la tempête, Carl Barcklind, reste sur sa réserve. Lui connaît le monde et le danger d’accusations non étayées.

  • Je partage sa prudence, oh combien ! L’expérience apprend vite qu’il vaut mieux un méfait impuni qu’un collaborateur zélé accusé à tort.

Un autre imbroglio se greffe là-dessus. La grosse cuisinière Karin est une bonne pâte (à crêpes). Elle est déjà hors d’âge, mais elle a des vues sur un instituteur maigrichon de son âge. Elle lui trouve de la classe et de la prestance. Pourtant ensemble; ils font couple à la Dubout.

Ces deux là se retrouvent à la foire. Les jeunes les ont contraint à venir s’amuser. Le malingre gagne un gros lot consistant en un landau, et tout ce qui va avec pour subvenir aux premiers rugissements du bébé. Évidemment, ils ne sont plus en âge de procréer.

Ce landau doit donc être remisé. Le jeune premier et néanmoins chauffeur, se charge de le planquer dans le garage. Mais il le dispose mal. Cela s’effondre et tout cela fait du bruit. C’est la goutte d’eau qui fait qui contraint les propriétaires bourgeois à les mettre en accusation.

À partir de là, grâce à la bienveillance du chef de famille, les choses se clarifient.

Rebondissement suivant. Dans cette maison de maître, les patrons reçoivent dignement. Mais un des jeunes convives se rend compte que la soubrette est sa copine du pari. Ces deux là finissent par en discuter dans un endroit discret.

Et « comme de bien entendu », le chauffeur amoureux Bengt Djurberg écoute « par hasard » la conversation. Il découvre que cette fille lui a menti et que ses avances n’auraient pu être qu’un jeu dont il serait le dupe. Il décide de rompre, sans même lui demander d’explications, sans avoir consommé autre chose que ses belles paroles (sous réserve de plans qu’on ne nous montre pas).

La jeune fille déçue rejoindra le domicile de son vieux papa et son entreprise de motos. Le jeune homme gagnera la course, démontrant ainsi que son idée originale de moteur amélioré était la bonne.

Son ancien patron lui demandera de revenir. Bengt se rendra compte que la fille qu’il convoitait était la fille de cet homme. Les deux oisillons tomberont dans les bras (les ailes ?) de l’un et de l’autre, avec humour et amour. Une scène plutôt innovante et qui restitue bien, le suspense, les envies, les réticences et la passion.

Tout est bien qui finit bien et nous autres les spectateurs en sommes parfaitement heureux. Comme quoi c’est simple de faire du cinéma du bonheur, de qualité. Il suffit d’avoir une réelle empathie pour ses personnages pour ses acteurs et suffisamment de talent pour mettre tout ça en musique. Le scénarie n’est pas le principal.

Bravo, la Suède ! Désormais pour moi il y a plus, que Ostlund et Bergman. Et ce pays au climat froid me semble à présent d’une incroyable chaleur. J’irais bien m’y faire bronzer.

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Tutta Rolf est une jeune actrice norvégienne-suédoise, à la présence remarquable. On ne voit qu’elle ou presque. Celle qui va jouer à la femme de ménage est une princesse de cinéma parfaitement établie, alors qu’elle n’a que 25 ans lors du tournage, et seulement deux films à son actif, dans cette même année 1932. C’est précisément grâce à cet habile mise en perspective nanti/ancillaire, qu’elle défonce l’écran. Ses cheveux courts lui vont à ravir. Ce qui n’est pas le cas de notre dernière Miss France androgyne.

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Le soupirant Bengt Djurberg est d’apparence et de jeu plus classiques. Mais il ne s’en sort pas trop mal. A 34 ans, il a déjà joué dans 14 films.

Et je me permets de rajouter, que ces personnages qui sont de l’âge de nos arrière-grands-parents, me semblent bien plus proches de moi désormais, que bon nombre de mes contemporains. Ces hypothétiques doyennes, qui nous séduisent encore grâce à la magie du cinéma, auraient plus de 115 ans aujourd’hui. Paix à leur belle âme.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Barcklind

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustaf_Molander

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