Fleurs d’équinoxe. Amour, mariage de raison. Ozu, monde sentimental. 7/10

Temps de lecture : 4 minutes

Eurêka, je pense avoir compris ! Le zoo humain adulte, qu’explore Ozu, est divisé en deux camps. Celui des couples mariés par arrangements de leurs parents et celui des couples rassemblés par l’amour et leur propre volonté.

Et encore faut-il que les uns et les autres ne montrent pas de grandes différences d’âge. Sinon « c’est répugnant » comme le disent clairement les jeunes femmes de ces films quand elles sont en âge de rechercher un époux. Une relation avant le mariage est également totalement proscrite. Aussi grave qu’un crime contre l’humanité.

Dans ce schéma, il n’y pas de place pour les unions illégitimes ou les célibataires. Pas question non plus de brandir un quota de « LGBTQ+ machin chose », comme on est pratiquement contraint de le faire dans le cinéma woke de maintenant. Cela n’existe tout bonnement pas, dans cet empire du soleil levant rêvé. Et là j’entends dire ouf dans la salle.

Fleurs d’équinoxe est la énième preuve de ce que j’avance.

Setsuko (Ineko Arima), 26 ans en vrai, est la fille à marier. Mais notre jeune femme occidentalisée, n’entend pas se laisser guider sa conduite par le rigide chef de famille Wataru (Shin Saburi). Un acteur massif et très présent, dont on peut redouter les colères. Même le spectateur se tient à carreau.

L’épouse du patriarche, Kiyoko (Kinuyo Tanaka), est très effacée. Sa contrition et son obéissance allant bien plus loin que d’habitude. Mais cette répartition des rôles est conforme à celle qui préside aux mariages arrangés de jadis. Ils sont aussi la preuve d’une certaine impasse. Ce qui n’empêche pas les modulations et les possibilités d’adaptation dans cette société là.

Shin ne supporte pas les libertés que prend sa fille. Laquelle voudrait décider elle-même de son futur conjoint. Il y met un barrage de principe, sans même se donner le temps de connaître mieux le postulant.

En théorie, sa femme Kinuyo devrait se taire et acquiescer au diktat de son homme. Mais en réalité elle va juste maintenir un semblant d’apparences, tout en faisant la tête pour signifier sa désapprobation.

Le prétendant Keiji Sada est un joli garçon et madame Kinuyo Tanaka est tombée instantanément sous son charme. Shin Saburi a beau jeu de dire à sa femme, que c’est une tête de linotte, qui a fait son jugement trop précipitamment.

Pour décoincer la situation d’autres personnages vont user d’une ruse. Ils vont amener le père à juger favorablement d’une configuration analogue d’amour véritable plutôt que d’union dirigée. Et là il est théoriquement piégé. Ce qu’il conseille pour l’amie de sa fille, il ne peut décemment le déconseiller à sa progéniture.

Il cède à moitié. Il laissera faire mais n’ira pas aux noces. Et finalement, de fil en aiguille, il s’y rendra quand même à la dernière minute. Mais son attitude montrera son opposition de principe.

Il en faut plus à son entourage. Une autre ruse vénielle le forcera à venir visiter le nouveau couple qui s’est installé dans une autre ville, Hiroshima. Les partisans des unions volontaires ont donc gagné. Et le vieux traditionaliste n’a pourtant pas vraiment perdu la face.

Ce que l’histoire ne dit pas, c’est ce qu’il fera de sa cadette Hisako Hirayama (Miyuki Kuwano), la sœur de Setsuko, à la tête de hamster souriant (… ou de petite carpe Koï, je n’ai pas encore décidé). Elle est assez désinvolte et forcément elle entrera en conflit avec ce père misogyne, qui réclame tant d’effacement des femmes de la maisonnée.

***

Ceux qui pensent que l’univers a commencé avec leur génération, ferait bien d’y réfléchir à deux fois. Pour ne parler que de ma propre expérience, je peux témoigner avoir vu des situations analogues, dans nos familles anciennement de type souche et foncièrement traditionnelles. Le vieux couple me fait penser à mes grands parents paternels. Avec là aussi, la traque aux mésalliances, le respect obligatoire envers le chef de famille – présumé sévère mais bon -, l’obligation de se conformer à ses « avis » comminatoires, la doxa inviolable, les petites combines des femmes discrètement indociles, mais qui maintenaient cette façade d’apparente soumission. Et cela a du perdurer pendant des siècles… que dis-je, des millénaires.

***

Un banquet d’anciens soldats est l’occasion d’un plaidoyer curieux pour la tradition. On y flatte, par la poésie chantée, l’esprit guerrier et le désir de victoire du peuple japonais. S’il n’y avait pas eu tant d’atrocités et une si manifeste visée impérialiste, aux dépens de populations autochtones, on pourrait presque se laisser prendre à cet esprit de corps qui fonde les nations. Il faudrait voir ce que cela donne chez nous avec la Marseillaise.

***

Ce film de 2 heures est un peu trop convenu, pour ceux qui comme moi, ont eu l’occasion de visionner la majeure partie de l’œuvre de Yasujirō Ozu.

Mais j’arrive pratiquement au bout de ce voyage en Ozu, juste avant de me lasser complètement.

Reste ces artistes si familiers, tant ils reviennent de film en film – il faut dire que leur présence est parlante. L’home mûr symbolisé par Shin Saburi en est l’exemple type. Ce patriarche en impose. Au point qu’on pourrait être gagné par les thèses carrées qu’il incarne.

J’en citerai quelques uns en plus des précédents :

Ineko Arima : Setsuko Hirayama

Yoshiko Kuga : Fumiko Mikami

Fujiko Yamamoto : Yukiko Sasaki

Keiji Sada : Masahiko Taniguchi

Teiji Takahashi : Shotaru Kondo

Chishū Ryū qui a vraiment les faveurs d’Ozu.

.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fleurs_d%27%C3%A9quinoxe

.

.

.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yasujir%C5%8D_Ozu

Envoi
User Review
0% (0 votes)

Laisser un commentaire