Moby Dick. Achab philosophe, mi ange mi bête. Par-delà le bien et le mal. 8/10

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Il est impossible de parler de Moby Dick en restant juste factuel. Le synopsis ne révèle rien sur ces interrogations immatérielles qui sont la substance de l’œuvre.

Compte tenu des nombreuses implications du livre et du film, j’ai du subdiviser en 3 sections :

Avec des films pareils, basés sur des livres bien connus, on est sûr qu’il y a quelque chose de très important à dire. Mais quoi au juste. A peine pense-t-on saisir la substance… elle se disperse dans les airs.

S’agit-il juste de l’histoire d’une folie paranoïaque, d’une monomanie ou bien doit-on prendre ça pour l’éternel défi aux dieux. Le mythe prométhéen, Don Juan, Faust et j’en passe.

John Huston a fait un travail remarquable. Il maîtrise parfaitement son sujet et rend cette mystique « visible ». Il a eu ce côté Achab dictatorial pendant le tournage. Il aurait pu très bien assumer ce premier rôle.

Le film est relativement subtil. Déjà il faut une certaine finesse à Achab pour convaincre ses hommes de les mener quasiment au suicide collectif. Dans un premier temps, il ne se montre pas au sens premier du terme. Il laisse se propager sa légende. Puis progressivement, il pousse le plus loin possible ses hommes, en fonction de sa malsaine détermination.

Il parvient cependant à ménager ses troupes, juste ce qu’il faut. Ainsi dans un premier temps, ils chassent réellement une baleine commerciale. Le partage proportionnel des gains est motivant. Et lorsqu’il laisse volontairement de côté un ban de baleines, ça grince nécessairement.

Il procède par cercles. Il convainc son entourage d’officiers, à l’exception de Starbuck. Ce dernier incarne la tempérance, le juste milieu. Il en faut un.

Avec son équipage, il doit procéder autrement. Il arrive à les impliquer par des serments solennels et des engagements par le sang. Et au moment opportun, il rajoute le partage de sa prime et les doublons d’or pour chaque blessure infligée au cétacé.

La forte détermination contre vents et marées (quasiment au sens littéral) est appréciée de nos jours plutôt tièdes où tout le monde se défile. Plus personne ne veut réellement porter le chapeau – On ne pas avoir à rendre des comptes, d’où l’inertie considérable du système.

À l’extrême, c’est Le Triomphe de la volonté et le fanatisme d’un Hitler. Lequel est prêt à tout griller pour son idéal funeste, centré en fait sur sa seule personne… comme Achab.

C’est aussi l’exploit « non politisé » de ses alpinistes qui gravissent des sommets, par des abords de plus en plus dangereux. Ils semblent toujours vouloir se mettre en danger, sous prétexte de compétition. Cette poussée suicidaire n’a rien de naturel. Une conséquence de ceux qui veulent être plus haut que les autres dans tous les sens du terme.

« Achab est un malade à Achab est un héros ». Achab est toute l’humanité et l’inhumanité à la fois. Il correspond bien aux deux faces de l’homme, selon Pascal. Cette entité de l’entre deux, qui lorsqu’il veut faire l’ange, fait la bête.

On le voit bien, on a bien du mal à caractériser ce qui nous fascine dans ce combat épique entre le bien et le mal, entre l’humain et l’inhumain.

Il y a sans doute beaucoup plus à dire, mais j’ai beau me tortiller dans tous les sens, je ne trouve pas, je ne vois pas, la solution. J’admire et je rejette à la fois le pari suicidaire d’Achab.

je n’aime pas plus Achab que tous ces tyrans encombrants qui ont sévi à un moment ou à un autre de notre histoire. Car je sais qu’ils sont moins beaux, en fait plus laids, que notre héros dans ce film.

C’est presque une trahison de nous montrer ainsi et de nous contraindre à avoir une certaine sympathie pour cet homme d’ordre et de force. Il serait intéressant d’explorer plus à fond les propos qu’il tient quant à dieu et le diable. Il ne parle pas toujours directement du diable, mais l’ensemble ses rites comme ces mythologiques harpons forgés à partir de harpons plus modestes et qui seront trempés dans le sang.

C’est clairement la signature à l’hémoglobine, au bas du parchemin de Faust. Mais c’est aussi une ruse habile est tout à fait concrète pour impliquer son personnel dans son furieux combat.

Je suis bien embarrassé, parce qu’ici quelque chose me dépasse. Soit que ça soit réellement incompréhensible ou que ça ne mérite pas d’être compris. Soit qu’il s’agisse d’un ailleurs auquel je n’ai pas totalement accès.

Bien qu’au fond je comprenne qu’on puisse mettre sa vie en jeu pour un intérêt supérieur ou même pour soi-même si les circonstances le commandent. Mais je mesure l’énorme gravité de la chose et la difficulté de sa réalisation notre instinct ne nous incite pas à nous mettre tellement en danger.

Et si c’était l’ultime enjeu, ce choix de sa mort, ce choix de son combat ultime, ce choix de ses dieux ce choix de ses diables.

Et au final, ficelé sur sa baleine blanche, il faut bien convenir que Achab et sans doute transfiguré mais plus certainement ridicule.

C’était plus simple à cette époque de désigner les choses. Soit le capitaine Achab est habité par le diable soit c’est un être humain perdu. Est-ce qu’il faut choisir ?

On a tendance de nos jours à minimiser le rôle de la religion. A cette époque, la religion a été déterminante, et pour fixer la morale, et pour laisser un espoir grâce à la superstition, et pour cataloguer l’homme dans ce qu’il pouvait avoir d’insaisissable.

A noter que dans ces temps là, la valeur d’un homme, la valeur de sa vie, étaient bien moindre qu’aujourd’hui. Cela donne aussi à réfléchir.

La religion disait : vous valez plus que vous le pensez, mais de par vos mauvaises actions, vous valez souvent moins. Nous, les intercesseurs en soutane, pouvons vous indiquer où vous vous situez, grâce à notre codage éprouvé.

Une fois le film terminé il faudrait réécouter le sermon initial du pasteur. On le trouve facilement sur le Net et nous en offrons une partie sur une page à part.

Au-delà des croyances peut-être que ce passage doublement métaphorique (biblique et marinière) pourrait-il nous guider dans la compréhension du film.

Vous noterez que le capitaine ne participe pas à l’office. Peut-être est-il déjà Par-delà le bien et le mal.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Moby_Dick_(film,_1956)

https://en.wikipedia.org/wiki/Moby_Dick_(1956_film)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jonas

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