Spotlight (2015) 8.5/10 pédophilie

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A l’habituel « seul contre tous » de trop nombreux films main-stream, ce cinéma intelligent substitue le combat d’un team complet et bien organisé contre une « vénérable » institution qui a pignon clocher sur rue.

Repris ici : Avis. Spotlight. Pédophilie omerta USA. Résumé (2015) 8.5/10 Golden Globe

L’église catholique est un fief très protégé à Boston. Ses ouailles sont majoritaires dans cette grande cité. Tout l’appareil qui dirige la ville doit lui faire allégeance. Il y a une sorte d’alliance césaro-papiste pour maintenir l’ordre social le plus strict. On entretient une foi pleine d’acceptation et de résignation dans les bas quartiers et une foi conquérante dans les hautes sphères.

C’est dire que le journal local le plus lu, le Golden Globe, doit faire bien attention où il met les pieds.

A l’occasion d’un changement de direction, les brillants journalistes d’investigation réunis dans le groupe de choc Spotlight, vont devoir s’atteler à une tache titanesque. Il s’agit de comprendre le système d’omerta de l’église quant à la pédophilie des prêtres. Un sujet dérangeant.

Pendant longtemps on a fait croire que ce n’était qu’un problème accidentel, lié à quelques rares brebis égarées. La hiérarchie catholique a érigé un système lui permettant de minimiser le problème pendant des décennies ; voire des siècles.

Au premier degré, on tente de calmer les familles en envoyant un doux nuage d’encre. Des prélats locaux sont chargés de calmer le jeu avec des arguments de proximité. Il ne faut pas faire de vague, ce n’est ni l’intérêt de l’enfant, ni celui des familles, ni celui de cette « bienveillante » et « respectable » institution. S’il le faut, et si la crédulité est bien établie, on peut aussi menacer des foudres divines. La paroisse et l’entourage font également une pression « amicale ». Et puis il y a de l’autocensure, car ce sont des « sales » histoires, qu’on n’a pas tellement envie d’exposer en public.

Si le cas est plus difficile, des avocats complaisants sont chargés de servir d’intermédiaire, pour déterminer une contrepartie financière. L’important est que cela soit réglé discrètement, avec des accords stricts de confidentialité, sans passage par la case tribunal.

Mais comme les victimes sont très meurtries, il arrive qu’à l’âge adulte elles soient tentées de révéler l’affaire dans toute son étendue. Des groupes de personnes lésées se constituent. Mais là, l’affaire parait tellement énorme, qu’en général le juridique et le quatrième pouvoir sont pris par le doute. Trop gros pour être vrai ? Trop important pour certaines petites épaules ?

Ce qui n’arrange pas les choses, c’est que des sympathisants du clergé occupent de nombreux niveaux hiérarchiques. Et les arguments du « pas de vagues » sont entendus. D’autant plus que les hauts gradés de cette confession ne sont pas des imbéciles. Ils savent organiser la parade – soit par la carotte, soit par le bâton. Les menaces sur les carrières des uns et des autres sont à peine voilées.

Nos investigateurs vont prendre le problème par plusieurs côtés.

D’abord ils entendent ceux qui se plaignent ouvertement. L’affaire ne date pas d’hier, il y a quelques années il y a eu du raffut. Mais ceux qui font le plus de bruits sont aussi, souvent, les plus atteints. Et donc il faut savoir mesurer leur parole. C’est très bien fait dans le film.

En analysant les mutations multiples des certains prêtres et leurs périodes d’indisponibilité, nos fins limiers vont comprendre comment on cache méthodiquement la poussière sous le tapis. Un travail méticuleux va leur donner des noms. Il suffira de recouper avec d’autres informations pour connaître la vérité dissimulée pour nombre d’entre eux.

En parallèle, ils vont essayer de tirer les vers du nez des avocats qui ont fait le sale boulot.

Oui bien sûr, en quelque sorte ils n’ont fait que leur travail. Ils ont obtenu des accords qui a priori ont satisfait les parties.

Mais dans le fond, ils ont contribué au silence général et donc à la perpétuation du phénomène. Face aux obligations professionnelles de ne rien révéler, une pression morale va s’exercer sur eux. Comme on est à un niveau supérieur, les échanges vont être intéressants.

Un avocat, qui œuvre lui pour des procès publics finira par donner accès à quelques-uns de ses clients. Mais ce sera très difficile. Il a été lui-même menacé et il doit protéger les victimes dont il a la charge. Il ne peut pas confier tout cela au premier journaleux venu. Il faudra l’amadouer intelligemment. Du beau travail dans tous les sens du terme que l’on doit à Mark Ruffalo et Stanley Tucci. Il fallait de grands acteurs pour nous transmettre cela.

Tout en haut de l’échelle, des contacts informels sont pris. Le cardinal reçoit préalablement le directeur du journal et lui fait passer le message qu’ils ont intérêt à travailler dans la même direction pour le bien de la communauté en général. D’autres personnages entrent dans le jeu.

  • Je cite ici pêle-mêle d’autres acteurs fort connus et tout aussi méritants : Rachel McAdams, Michael Keaton, Liev Schreiber, John Slattery – mais il y en a bien d’autres. Tous semblent avoir le feu sacré.

Les Américains sont très forts dans les échanges de prétoire. Un démontage juridique habile leur permettra d’accéder à des dossiers compromettants qu’on a tenté de faire disparaître.

Au final, l’affaire sera lancée au grand jour, la terre entière se rendra compte du problème. Les chiffres ? 50 % des religieux qui ont fait vœu de chasteté ont des relations sexuelles. 6 % de l’ensemble des hommes d’église sont des pédophiles. Ce qui fait près de 90 prêtres rien que pour Boston !

  • Je ne suis pas trop étonné par ces chiffres. J’ai eu l’occasion d’entendre directement de la part de plusieurs amies qu’elles avaient été touchées par des curées et apparentées. Je ne prétends pas à une analyse statistique, mais cela ne peut pas être si accidentel que cela.

Et puis l’histoire résonne étonnamment de la même façon en France avec les dissimulations de la hiérarchie dans telle ou telle affaire de curées prédateurs. Et comme ce sont souvent des nombres effarants de victimes par curé, on se doute bien que pas mal d’occasionnels ont du passer dans les mailles du filet.

Quant aux méthodes d’intimidations utilisées, elles sont curieusement très proches de celles dont on entend parlé pour les grandes sectes, plus ou moins tolérées. Il faudrait voir ce qu’il en est de plus près. Je ne cite pas de noms, car ces pourritures sont très procédurières.

Nos amis US excellent dans ces films de dénonciation d’immenses scandales façon Watergate. Ici c’est démonstratif et brillant. Dans ce long film, plus de deux heures, il n’y a pas une minute de perdue. Tout a un sens et est magnifiquement orchestré. On se croirait immergé dans cette réalité.

Le film « documentaire » ne donne pas généralement dans le pathos. Il y a quand même une courte scène où l’on voit des enfants victimes dans une salle et qui jouent très tranquillement. L’avocat qui en a la charge dit simplement qu’ils ont été violés. Les victimes sont également très fortement touchées, avec ces bras de drogués, ces psychologies défoncées… Ce qui est vrai pour certains, mais peut paraître un peu trop démonstratif, est atténué par la présence d’un ancien camarade de classe du rédacteur en chef dont la confession à l’écran est bien plus sobre.

On donne même la parole à un « anodin » prêtre pédophile, qui reconnaît sans difficulté les faits et affirme qui a lui même été violé pendant son enfance. Sa candeur est absolument étonnante. On est loin de l’image du pervers satanique. La banalité du mal, comme aurait dit Hannah Arendt.

Quel soulagement quand les rotatives, telles autant de bulldozers en furie, se mettent en action, signant le point de non retour. En ce temps béni, le « papier » avait quelque chose de définitif. Il signifiait vraiment quelque chose.

Oscar du meilleur film et Oscar du meilleur scénario original. Que dire de plus ?

https://fr.wikipedia.org/wiki/Spotlight_(film)

Mark Ruffalo
Michael Keaton
Rachel McAdams
Liev Schreiber
Stanley Tucci

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