Dr Tchekhov, Mr Weber. Crise de nerfs. Méfaits du tabac. Farce de Peter Stein. 8/10

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Tout le monde aime Anton Tchekhov, mais rares sont ceux qui arrivent à en restituer le talent. Cela vaut pour les commentateurs, comme pour les interprètes. C’est d’ailleurs cet échappement perpétuel qui en fait la saveur. Le plus souvent, ceux qui croient le saisir, finissent par le broyer avec leurs grosses mains. Il ne faut pas pour autant le sacraliser et en faire un monument figé et définitif.

Jacques Weber ne sombre pas dans la farce que voudrait lui imposer le metteur en scène Peter Stein. Il rattrape le coup. Il teinte ce qui pourrait s’avérer l’humour grossier, par une infinité de nuances qui rendent la saynète pastel.

  • Il n’a pourtant pas le monopole de Tchekhov, car l’empreinte de celui-ci est dans chacun d’entre nous, sous réserve que nous ayons peuplé nos lectures de figures consistantes.

Il a compris ce qu’il y avait d’explosé dans le style de Tchekhov. Cet auteur se joue des conventions, pour laisser s’insinuer sa réflexion sur l’âme humaine, surtout lorsqu’elle est brinquebalée dans un dédale de circonstances.

Il n’y a rien de « politique » là dedans, contrairement à ce que prétendent certains accapareurs de mémoire. C’est au contraire une esthétique ; l’esthétique de ce qui tend vers l’insignifiant, et ce bien avant Houellebecq. Il se complaît dans ces glissades et il ne fait rien pour les arrêter. C’est de ça qu’il se méfie en minimisant ses travaux.

Ce profil colle merveilleusement avec ce qu’est Jacques Weber. Ce gros lourd physiquement est tout sauf un gros lourd mentalement. Et s’il est poseur plus que de raison, à la ville, à la campagne et sur scène, cette amusante distance, plus légère qu’on le suppose, donne une coloration intéressante à l’œuvre ici bas. Une emphase maîtrisée est acceptable, surtout avec nos a priori sur ce monde slave.

On pourrait dire que ce « Général Dourakine » pesant mais malin, colle à l’idée que l’on se fait des habitants de ces montagnes russes, soit trop euphoriques, soit trop dramatisants. Et pour lesquels Il n’importe pas d’être Constant.

Jacques nous fait entrer dans une Russie légendaire, faites des patisseries chromo en forme de Kremlin ou de dômes dorés de Kyiv, avec des outrances diverses et sans doute la belle musique de Moussorgski, Ravel. Un univers pulsionnel énigmatique mais qui reste encore relativement accessible à notre tempérament.

(*) Dourak : les russophones apprécieront.

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Le Dr Tchekhov n’avait pas une grande estime pour sa production romanesque. En cela, il était comme Gainsbourg qui ne reconnaissait pas à ses chansons le qualificatif d’art. L’un et l’autre n’hésitaient pas à minimiser ce qui est en fait était leur talent. Et ce n’étaient pas de fausses pudeurs. Eux ils savaient ce qu’ils ne savaient pas. Ce qui incite à la modestie.

  • N’oublions pas que Gainsbourg était d’origine russo-ukrainienne également. La comparaison Gainsbourg / Tchekhov n’est pas si idiote que cela.

Il n’y a rien de plus difficile que de tenter de cerner de quoi est fait ce talent littéraire. Cela semble à portée de main tant chez Tchekhov il est présent. Mais pourtant il est si diaphane et si évanescent. Essayez de le disséquer grossièrement, et vous en ferez un cadavre repoussant. Il faut donc absorber cela en entier, sans se soucier de chaque morceau ; et sans laisser prise aux commentaires ; y compris le mien.

Une bonne façon d’entrer dans ce monde est de se laisser guider par un comédien éclairé et expérimenté comme Weber. Même si forcément il teinte l’affaire à sa façon. Mais bien sûr, rien ne remplace la lecture. Faites des allers retours et vous y arriverez forcément.

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Je me permets de signaler que je suis bien moins touché par le “sketch” suivant de ce spectacle. J’en parle ici : Mr Weber, Dr Tchekhov. Crise de nerfs. Demande en mariage. Farce de Peter Stein. 6/10

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A noter que dans le renouvellement inutile et mal géré des interprétations du grand écrivain, on peut faire bien pire : drive-my-car-japon-pour-festivals-occidentaux-saab-depanne-hamaguchi

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Tchekhov est mort jeune à Badenweiler. Une petite ville d’eau bien plaisante située pas loin d’ici. Il va falloir que j’y aille en pèlerinage. Avec l’une de ces trois merveilles à la main : Oncle Vania,  Les Trois Sœurs, La Cerisaie.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Anton_Tchekhov

https://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_Stein

https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Houellebecq

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Weber

https://www.offi.fr/theatre/theatre-de-latelier-1472/crise-de-nerfs-78237.html

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