Enfants du Vel d’Hiv (1992) Annette et Michel Müller. Bousquet, Mitterrand, Badinter 8/10

Temps de lecture : 4 minutes

Enfants nos livres d’histoire parlaient d’une rafle faite par la Gestapo. C’est faux.

En juillet 1942, le gouvernement de Vichy accepte de livrer aux Allemands 22000 juifs étrangers. Il se fait un point d’honneur d’organiser la rafle, avec sa police, tout seul. Les ordres préfectoraux sont clairs et doivent être exécutés à la lettre sous peine de sanctions.

Ce sont des Juifs allemands, autrichiens, polonais, tchécoslovaques, russes et apatrides âgés de 16 à 60 ans (55 ans pour les femmes). Ou même de 15 ans selon les conditions. Les apatrides seront les plus mal traités.

Tout est prévu par la Préfecture de Police – C’est l’infâme Bousquet qui se charge de la manœuvre. Un tri sera fait par la suite dans les centres, en fonction d’une éventuelle aryanité du conjoint, de faits de guerre etc

A priori les enfants de moins de 15 ans doivent être sortis du lot lors du tri. Mais l’opération se montre bien moins efficace que prévue. 16000 juifs ne sont pas là. On est au tiers de l’objectif. D’où la décision française unilatérale d’y adjoindre de petits enfants pour faire le compte ! Il n’y a qu’à Paris qu’on a fait un coup pareil, en province non. Il y aura donc 4000 enfants dont 3000 ont la nationalité française. C’est déguisé en pseudo mansuétude afin de ne pas séparer parents des enfants. Le déshonneur est complet.

Au lieu des 22000 on en sera au total à 12400 personnes. 400 de ceux là reviendront des camps.

Le parcours classique les amène d’abord dans les camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers. Puis à Drancy. Les conditions sont infectes en particulier pour les enfants, laissés seuls lorsque les parents ont fait parti d’un convoi vers Auschwitz. On leur a raconte que les adultes devaient aménager le camp de destination finale, pour mieux recevoir les enfants, dans un second temps. Comble du mensonge abject.

Le témoin principal, et récitant dans le film basé sur le récit de sa soeur Annette, se nomme Michel Müller, 7 ans à l’époque.

  • Sa tête de 1995 peut vous dire quelque chose, car il a été comédien humoriste et on l’a vu à la télé (Guignols de l’info ). Il ressemble à Charlot.

Il a été raflé avec ses frères, sa sœur et sa mère. C’était un petit garçon chétif.

  • La boulangère applaudissait.

La sœur a perdu pas mal de repères à partir de là. On en sent encore les séquelles psychologiques. Elle en veut à sa mère de s’être agenouillée devant la police pour qu’on sauve les enfants. La fille dit que, ce faisant, elle est tombée du piédestal où elle l’avait mise. Elle garde encore cette idée dans des cauchemars étranges où elle et sa mère sont interchangeables dans l’opprobre.

  • Annette Müller : “J’ai vu ma mère se jeter aux pieds des policiers, pleurer, supplier qu’on laisse ses enfants”

D’une manière générale l’enfant a considéré que les adultes ont laissé les enfants à leur sort. Ce qui est singulièrement vrai dans les camps français où ils étaient livrés à eux mêmes, sans même le secours des internés adultes. Or ces deux là étaient trop petits pour ne pas se faire doubler par les autres. Et souvent ils ne parvenaient pas jusqu’à la table de distribution de nourriture (toujours des fayots) et ils ont été réduits à essayer de manger de l’herbe. Ils étaient si sales, pouilleux, malades qui ont subi un rejet supplémentaire.

Le jugement de la fille peut nous étonner car la mère a été une quasi sainte. A force d’obstination, elle a pu préserver deux enfants dans un premier temps, en les faisant échapper à la surveillance de la police. A Beaune-la-Rolande, avant d’être déportées en Pologne les femmes étaient déshabillés de force et devaient donner leurs biens précieux contre un vague reçu. Cela n’a pas été perdu pout tout le monde. Bravo la France de la débrouille ! Quelle médiocrité !

Plutôt que de s’exécuter certaines jetaient leurs bijoux aux toilettes. Cette image de parures scintillantes dans les gogues a frappé la petite fille.

Leur maman a cousu des billets de banque dans les vêtements des ses petits.

Elle est morte dans un camp.

Le père, qui était planqué déjà avant, a manœuvré pour sauver les deux autres enfants. Sous le prétexte qu’ils étaient utiles comme ouvriers fourreurs mais surtout une histoire de corruption par des pièces d’or, comme le rapporte dans l’émission Rembob’ina de Patrick Cohen, le petit fils.

C’était trop tard pour la maman.

Les 4 ont fini chez les bonnes sœurs. Ils sont passés de l’ombre à la lumière et se sont même convertis au catholicisme avec conviction.

Cette famille Müller force le respect. Et ce documentaire, où on laisse la parole très largement aux enfants rescapés devenus grands, a une force remarquable. La dignité est omniprésente.

Le réalisateur Maurice Frydland a fait du bon boulot. Cela devait être diffusé à la télé pour les commémorations de la 50 ème année de l’évènement en 1992. Cela eu lieu qu’un an plus tard en catimini. Hervé Bourges fraîchement arrivé à la télé nationale a permis cette petite lucarne là ; une « programmation sauvage ».

Tout cela parce qu’un tontonmaniaque bloquait la diffusion. C’était trop « polémique ». Il ne fallait pas remuer le couteau dans la plaie de Mitterrand, avec sa francisque et son amitié indéfectible pour Bousquet. Deux jours après la diffusion, Bousquet était assassiné. Lui dont on estime légitimement responsable de l’horreur du Vel d’hiv a été bizarrement protégé et acquitté en 1949, ce qui lui a assuré une belle période de tranquillité.

A voir ou à lire :

https://sfi.usc.edu/content/michel-muller-vel-dhiv

https://fr.wikipedia.org/wiki/Annette_Muller

https://www.marianne.net/culture/michel-muller-rescape-du-vel-d-hiv

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Bousquet

Discours de Chirac de 1995 / Selon Serge Klarsfeld, c’est une véritable “rupture” avec François Mitterrand et Charles de Gaulle qui, eux, avaient reconnu la responsabilité de l’État français de Philippe Pétain.

https://www.europe1.fr/politique/discours-de-chirac-sur-la-rafle-du-vel-dhiv-des-mots-pour-que-la-france-regarde-son-passe-en-face-salue-serge-klarsfeld-3922397

Emportement en public de Badinter après les attaques verbales contre Mitterrand

“J’ai été pris d’une colère, d’une fureur” explique-t-il, en pensant “aux morts qui nous écoutent” et quelle infamie à leur égard on leur faisait subir : “Comment est-ce-qu’on ose transformer une cérémonie comme celle-là en espèce de meeting politique misérable ?”. “J’étais hors de moi”, reconnaît-il, d’où son apostrophe au public présent ce jour-là, “vous m’avez fait honte” leur a-t-il dit.

Mitterrand aggrava même son refus en faisant déposer une gerbe sur la tombe de Pétain le 11 novembre suivant, au nom de la République française.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/robert-badinter-se-raconte-dans-memorables/robert-badinter-1315-5523002

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