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Ce documentaire synthétique est quasi parfait. Il nous donne une vue elliptique, mais avec un repérage suffisamment panoptique, de l’artiste et de sa brillante production.

C’était nécessaire, car du fait de la partialité des collections françaises, une grande partie de son œuvre des plus intéressantes est à l’étranger et prend donc moins de place dans nos récits locaux. Nos conservateurs l’ont figé dans nos esprits dans une certaine période de ce fait. Mais ne nous plaignons pas, il y a chez nous du bon et du très bon.

Le musée d’Orsay serait dépositaire du plus grand nombre de ses œuvres au monde. Personnellement je n’ai pas été frappé par cela, dans cette “gare” embouteillée, que l’on peut considérer comme exiguë, vu le projet. Sans doute qu’on devrait lui consacrer un musée à lui tout seul.
Vivement une rétrospective Degas comme celle du Grand Palais.

Cet artiste a connu une immense gloire de son vivant avec à la clef une côte considérable. Il n’avait pas le souci de vendre à tout prix ses tableaux. Pourtant il finit pauvre. Étonnant ! Il a gardé la majorité de sa production dans son atelier, ce qui en a surpris plus d’un à son ouverture.

A sa mort tout a été dispersé et les grands musées américains ont acheté surtout la composante mature ou tardive et donc la plus moderne. Les administrateurs français tablant davantage sur la première partie qui se révèle plus conforme et sans doute moins audacieuse.

De Edgar Degas, on a classiquement en tête les danseuses et/ou la buveuse d’absinthe. Cherchez « Degas » sur Google en mode images, et ces danseuses squattent obstinément les premières pages. Bonjour le cliché !

Cet abord est certes immédiatement plaisant voire enthousiasmant, mais cela ne correspond qu’à une petite partie de ce qu’il avait en tête.

Il y a quand même là, de l’innovation dans le cadrage, qui saborde parfois des morceaux entiers de personnages ou de cadres. Et le reportage nous enseigne que ce monsieur à chapeau planqué ici ou là, est un “protecteur” de ces jouvencelles.

Son art de la restitution du mouvement y est très savant et très efficace ; comme autant de « moments décisifs ». Il se serait basé sur ces nouvelles réalités, que permettait de découvrir la chronophotographie. Cette découverte était évidemment transfigurée par son talent.

Notre surdoué a étendu son approche cinétique à un autre chapitre qu’il choyait autant, la peinture des chevaux bien vivants et en déplacement.

Degas était un impressionniste assez dissident. Une dissidence éclairée dans la dissidence brouillonne de nombre de ses partenaires.

De part ses origines aristocratiques en tant qu’« Hilaire Germain Edgar de Gas », de part sa formation solide et de part sa culture étendue, il se plaçait en surplomb des autres confrères.

D’ailleurs, lui a exposé dans les salons classiques qui refusaient ses confrères avant-gardistes. Et vers l’apogée du mouvement impressionniste, certains l’ont quitté en raison de sa présence. Conflits de puissants caractères.

Ses séjours en Italie où il avait de la famille, l’ont imbibé de cette culture picturale transalpine. Il a bénéficié également des apports prestigieux de Gustave Moreau, qu’il a connu directement et qui était son ami. Il intégrait donc des composantes supplémentaires, tout en s’affranchissant d’un respect exagéré pour de telles tutelles.

Ses nus sont remarquables. Il s’agit principalement de femmes simples qui font leur toilette. Mais quel art, quel maîtrise ! A nouveau le geste est surpris. Mais cette « technique » est au service de la beauté brute. Il était très fort en portrait, mais il n’était pas question d’embellir ces dames. Leur « charme » venait de bien au-delà de l’asservissement à de canons esthétiques. Ce réalisme de l’ordinaire était bien plus fort que cela. On est loin du travail tout mignon d’un Renoir amoureux de son modèle.

Ses paysages de plage sont très intéressants mais assez méconnus. On dirait du Turner par moment.

Ses travaux ultimes ont été « aidés » par son déficit visuel intense et progressif. C’est curieux de prétendre cela. Mais il faut bien convenir que ces tableaux ont des couleurs intenses qu’on pourrait qualifier de Fauve et ces évolutions de formes anticipent le Cubisme. Certains des Picasso des premières périodes n’ont rien à lui envier.

Avec un minimum de sensibilité, la plupart d’entre nous peuvent sentir dans leur corps et leur âme, ces révolutions. De telles peintures sont à se mettre à genou ! Et les sculptures découvertes parfois tardivement méritent également nos éloges ; dont la fameuse Petite Danseuse de quatorze ans qui elle a été exposée de son vivant.

Plusieurs de ses œuvres sont à considérer comme des jalons notables. Le tableau d’Henri Rouart devant son usine fumante, ce tableau « familial » du Bureau de coton à La Nouvelle-Orléans, Le Tub, les Musiciens à l’orchestre, L’Orchestre de l’Opéra, La Famille Bellelli, la Classe de danse, L’Absinthe, Les Danseuses bleues, les autoportraits, les repasseuses (qui ne tiennent pas une bouteille de vin mais de l’eau pour l’amidon), la Sémiramis, le portrait à la Bourse, le viol, la Femme vue de derrière (visite du musée)…

J’ai du mal à comprendre cela, mais le recadrage d’approche, voulu par la prise de vue documentaire, avec sans doute un certain “boost” des couleurs, apporte quelque chose. Comme si chez Degas les parties dépassaient chacune le tout.
Ce captivant regard focal m’a conduit à privilégier cette approche dans mon choix iconographique.

Mais bien qu’il ait été à l’origine de la plupart des tendances réussies qui lui ont succédé, ce n’est pas un « moderne » au sens actuel du terme.

Ce n’est pas un de ces charlots contemporains qui veulent juste se trouver un nouveau créneau, sans se mettre en péril et surtout sans le moindre génie. L’important pour eux étant de se faire une place au soleil, puis d’engranger des profits par la seule répétition.

Il a croisé tant d’esprits de premiers plans qu’il faudrait un livre entier pour raconter ces fructueuses rencontres. Mais de part son franc parler et de part ses convictions bien enracinées, il n’était pas consensuel. A signaler son amitié avec Mary Cassatt, peintre américaine.

Paul Valery, qui n’était pas un imbécile, le qualifie de « chef-d’œuvre de l’esprit humain ». J’aurais tendance pour ma part de le qualifier en plus de « génie en toute liberté ».