Huysmans. Art Moderne. Mary Cassatt, femme peintre impressionniste. 7/10

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Voici l’intervention intégrale de Joris-Karl Huysmans, suite à ce qu’il a pu observer à l’exposition des Indépendants de 1881 :

J’écrivais, l’an dernier, que la plupart des toiles de Mlle Cassatt rappelaient les pastels de M. Degas, et que l’une d’elles découlait des maîtres anglais modernes.

De ces deux influences est sortie une artiste toute primesautière, toute personnelle. Son exposition se compose de portraits d’enfants, d’intérieurs, de jardins, et c’est un miracle comme dans ces sujets chéris des peintres anglais, Mlle Cassatt a su échapper au sentimentalisme sur lequel la plupart d’entre eux ont buté, dans toutes leurs œuvres écrites ou peintes.

Ah  ! Les bébés, mon Dieu  ! Que leurs portraits m’ont mainte fois horripilé  ! -toute une séquelle de barbouilleurs anglais et français les ont peints dans de si stupides et si prétentieuses poses  ! -on en arrivait à tolérer l’Henri IV chevauché par des gosses, tant les modernes enchérissaient encore sur la sottise des peintres morts. Pour la première fois, j’ai, grâce à Mlle Cassatt, vu des effigies de ravissants mioches, des scènes tranquilles et bourgeoises peintes avec une sorte de tendresse délicate, toute charmante.

Au reste, il faut bien le répéter, seule, la femme est apte à peindre l’enfance. Il y a là un sentiment particulier qu’un homme ne saurait rendre ; à moins qu’ils ne soient singulièrement sensitifs et nerveux, ses doigts sont trop gros pour ne pas laisser de maladroites et brutales empreintes ; seule la femme peut poser l’enfant, l’habiller, mettre les épingles sans se piquer ; malheureusement elle tourne alors à l’afféterie ou à la larme, comme Melle Elisa Koch en France et Mme Ward en Angleterre ; mais Mlle Cassatt n’est, Dieu merci, ni l’une ni l’autre de ces peinturleuses, et la salle où sont pendues ses toiles contient une mère lisant, entourée de galopins et une autre mère embrassant sur les joues son bébé, qui sont d’irréprochables perles au doux orient ; c’est la vie de famille peinte avec distinction, avec amour ; l’on songe involontairement à ces discrets intérieurs de Dickens, à ces Esther Summerson, à ces Florence Dombey, à ces Agnès Copperfield, à ces petites Dorrit, à ces Ruth Pinch, qui bercent si volontiers des enfants sur leurs genoux, pendant que, dans la chambre apaisée, la bouilloire de cuivre bourdonne, et que la lumière rabattue sur la table anime la théière et les tasses et coupe, en deux, l’assiette plus éloignée où des tartines beurrées s’étagent. Il y a dans cette série des œuvres de Mlle Cassatt une affective compréhension de la vie placide, une pénétrante sensation d’intimité, telles qu’il faut remonter, pour en trouver d’égales, au tableau d’Everett Millais, les trois sœurs, exposé en 1878, dans la section anglaise.   Deux autres tableaux, -l’un appelé le jardin où, au premier plan, une femme lit tandis qu’en biais, derrière elle, de verts massifs piqués d’étoiles rouges par des géraniums et bordés de pourpre sombre par des orties de Chine, montent jusqu’à la maison, dont le bas ferme la toile ; -et l’autre intitulé le thé , où une dame, vêtue de rose, sourit, dans un fauteuil, tenant de ses mains gantées, une petite tasse, -ajoutent encore à cette note tendre et recueillie une fine odeur d’élégances parisiennes.   Et c’est là une marque inhérente spéciale à son talent, Mlle Cassatt qui est Américaine, je crois, nous peint des Françaises ; mais dans ses habitations si parisiennes, elle met le bienveillant sourire du at home ; elle dégage, à Paris, ce qu’aucun de nos peintres ne saurait exprimer, la joyeuse quiétude, la bonhomie tranquille d’un intérieur. Nous voici arrivés devant les Pissarro. C’est aussi une révélation que l’exposition de cet artiste.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mary_Cassatt

https://fr.wikipedia.org/wiki/Joris-Karl_Huysmans

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