Tavernier voyage à travers le cinéma français avant guerre (2016) TV5 meilleurs réalisateurs + Gabin. 8/10

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Merci à TV5 Monde replay de nous permettre de voir ce joyau pour cinéphiles.

Ce travail d’analyse historique du cinéma par Tavernier est un évènement considérable. Ici j’évoque la première partie, celle d’avant guerre et de pendant la guerre.

Jusque là, on a surtout connu cette transversalité dans des livres de critiques, avec des rendus plus ou moins éclairés.

Ici la démonstration est donc bien « visible ». Cela se passe sur l’écran, en deux longues parties et c’est fait par un vrai metteur en scène. D’où parfois des hommages à des procédés techniques qui ne nous sont pas familiers. Mais qu’importe, l’essentiel est ailleurs. Un vrai amoureux du cinéma parle de sa passion.

D’autres avant lui ont été très loin dans leurs recherches comme pour cette « Histoire du cinéma » en deux tomes que l’on doit à Bardèche et Brasillach. Je cite ceux là à dessein puisqu’ils sont sur un bord politique diamétralement opposé, et comme on le verra l’angle d’attaque de Tavernier n’est pas neutre.

Et nous dans tout cela ? On ne doit pas nous faire abdiquer notre libre critique. Je dis cela pour plusieurs raisons.

  • D’abord parce que tout un chacun, lorsqu’il est question d’art, peut avoir des goûts totalement différents, sans avoir à se justifier. Bien que certaines œuvres s’imposent pratiquement à tous, nos aspirations, nos bagages, nos lubies ne sont pas toutes les mêmes. Et il nous reste un total libre choix.
  • Ensuite les films sont souvent les reflets de l’époque qui les a vu naître. Il est difficile d’imposer d’apprécier des films muets en noir et blanc avec des moues hyper expressives par exemple. Mais ce qui vaut pour la forme, vaut également pour des sujets de fonds. Les intérêts évoluent.
  • J’ai assisté à la projection de ce film alors que Tavernier était là. J’ai pu même l’interroger un peu. En principe, cette relative proximité pour amener plus d’indulgence. Pourtant vous verrez, c’est plutôt l’occasion de se permettre de dire les choses. Comme j’ai déjà écrit sur de nombreuses œuvres mais aussi sur certains réalisateurs, je ne peux pas revenir en arrière. Il ne me reste qu’à défendre mes positions. Surtout celles qui peuvent s’avérer contraires à celles de Bertrand.
  • Il y aurait bien d’autres considérations à développer sur les besoins et les désirs de chacun, mais ce n’est ni le lieu, ni le moment.

Tavernier explique bien qu’il ne peut pas être exhaustif. Pourtant notre lutin nous commente plus de 500 extraits ! Ce n’est pas une encyclopédie mais cela y ressemble bougrement, vu de loin.

L’approche est complexe. A la fois personnelle, chronologique et thématique. Mais avec un certain désordre.

Notre réalisateur passionné démarre par ses premiers flirts avec le grand écran. Les premières claques dues aux premières projections. Souvent on ne choisit pas son premier amour. Essayez de vous souvenir vous.

  • Moi j’ai encore très clairement en tête la lave qui se déverse sur ma tête, dans un ciné-train, le plus mal placé possible, au premier rang sur un bord extrême. C’était les Derniers jours de Pompéi. Et cela ne m’a pas dégoûté d’aller en cachette au ciné.

Rapidement il fait la part belle à Jacques Becker. Surtout que c’est avec Dernier Atout que Bertrand gamin a perdu sa virginité de cinéma.

Première friction car ce n’est vraiment le réalisateur que je connais et/ou estime le plus. Tavernier a un jugement moral qui consacre « la décence ordinaire » de certains protagonistes et « l’indécence ordinaire » des autres. Cela a à voir avec cette valeur de fraternité qu’il apprécie tant.

Il est dithyrambique pour le Goupi Mains Rouge de 1943. Mais je n’ai vu que l’affreux remake de 1993 goupi-mains-rouges

Il s’étend sur le Falbalas de 1945 qui serait saisissant de véracité au point d’enthousiasmer encore les grands couturiers. Je passe sur 1947 : Antoine et Antoinette, 1949 : Rendez-vous de juillet, 1951 : Édouard et Caroline.

Le gros morceau est Casque d’or en 1952. Mais je dois dire que je ne partage pas son enthousiasme.

Touchez pas au grisbi date de 1954 et il est toujours de bon ton d’encenser ce film. Ce film n’est pas excellent, mais il est défendable.

J’avoue avoir adoré enfant Fernandel dans cet Ali Baba et les Quarante voleurs de 1954. Avis. Ali Baba et les 40 voleurs – Jacques Becker nous régale. Résumé, aperçu. Si j’avais des millions

Tavernier a un rapport complexe avec Jean Renoir. Il est bien content que cela soit Gabin qui dise tout le mal possible de lui en tant que personne. Il a opportunément épousé le communisme dans un premier temps. Pendant la guerre il a défendu Vichy, il a dénoncé, et il se fait traiter de « pute » pour cela. Tavernier rajoute qu’il disait à peu près n’importe quoi. Il s’adaptait juste avec ce que voulait entendre son auditoire. Ce grand Français, le fils de Renoir peintre, a pris la nationalité américaine. Gabin lui en a voulu.

Ce qui n’empêche pas Tavernier de l’estimer grandement comme réalisateur. Et là encore je ne suis pas d’accord. A mon avis il se laisse influencer par les clins d’oeil front populaire qui consacre tant l’amitié de classe. Il aime ce côté cette chaleur supposée, cette potentialisation amicale, cet esprit communautaire. C’est intuitivement politique. L’enfer critique est lui aussi pavé de bonnes intentions.

J’ai vu la Petite Marchande d’allumettes de 1928. Je passe sur 1931 : On purge bébé, 1931 : La Chienne. J’ai quand même apprécié 1932 : Boudu sauvé des eaux. 1935 : Toni est consternant, je ne vois pas trop pourquoi Tavernier s’y arrête. 1936 : Le Crime de monsieur Lange est généralement porté aux nues, comme 1936 : Partie de campagne.

Il est très classique de s’agenouiller devant ce qui est souvent considéré comme des chefs d’œuvres : 1937 : La Grande Illusion, 1938 : La Bête humaine, 1939 : La Règle du jeu. Eh bien pas moi ! Ces trois films ne m’emballent pas.

On comprend bien le parti « politique » qu’il y a là derrière, avec cette flatterie pour une classe ouvrière mythifiée et ce rejet des bourgeois. Mais la ficelle est vraiment trop grosse.

Et si Tavernier se réjouit d’en décortiquer techniquement la mise en scène, dont des plans « virtuoses », ce n’est pas un sport que l’on doit se sentir obligé de pratiquer. Il est tout fier de pouvoir démontrer que l’un de ses longues séquences ininterrompues, a quand même été pris en deux fois. Nananère !

Tavernier s’étend sur 1938 : La Marseillaise puis il fait un grand saut jusqu’à 1955 : French Cancan dont il apprécie le final dansé.

Le premier Gabin est désigné par lui comme un « héros prolétaire ». Voilà que la politique grattouille à nouveau notre Bertrand. Il fait un plan large sur ce colosse du cinéma. Il faut dire que ce Moncorgé lui a donné à entendre pas mal de choses intéressantes, lors d’un entretien exclusif de 5 heures. Tout a été passé en revue.

Tavernier va parler de lui par ses films. Il est très instructif. Il nous explique par exemple que Gabin est toujours différent dans sa manière de marcher ou d’épouser fidèlement n’importe quel métier. Mais cela se passe dans la nuance, dans la finesse. Il peut se mouvoir lentement, mais ce ne sera jamais de la même façon, selon la fonction, selon le bagage. La démonstration par l’image est imparable.

Et donc ici on sort donc de la chronologie et du récit par réalisateur. A vous de vous y référer. Moi je reprends le fil par metteur en scène.

Tavernier ne pouvait pas ne pas parler du très connoté front populaire La Belle Équipe de Julien Duvivier. Film un peu surfait à mon avis. Il n’évoque pas Pépé le Moko ou Le Petit Monde de don Camillo. Mais il cite Panique et Voici le temps des assassins, ce qui est bien normal.

Pour Duvivier je suis partagé. Voir plus loin ma sélection commentée.

Tavernier montre un certain dédain pour Marcel Carné mais il reconnaît qu’il a fait des films grandioses. Il en est presque étonné.

Il semble avoir un problème avec sa personnalité. Espérons que cela ne soit pas l’homosexualité cachée de Carné qui lui brouille les pistes.

Il est difficile de ne pas reconnaître les immenses mérites de Le jour se lève ou du Quai des brumes et aussi Drôle de drame, Hôtel du Nord, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du paradis.

Et Bertrand en parle intelligemment et avec passion. Surtout quand son idole Gabin y figure en premier plan. Il redevient technique en montrant l’appétence du réalisateur pour la focale de 32 mm.

Il évoque un tas d’autres concepteurs dans cette première époque, mais je ne veux pas non plus me prétendre exhaustif.

Trauner le concepteur de décors est bien entendu cité. Surtout pour ce qu’on lui doit dans Le jour se lève.

Un large passage est donné à la musique de film. Et cet hommage au particularisme français est bien utile. Avec son exposé, on comprend mieux l’intérêt d’une musique adaptée et de qualité. Des grands noms sont cités ; Kosma, Desplat… Référez-vous au film.

A la grande époque, le cinéma français avait plein de choses à nous dire. Et les créateurs se scrutaient, s’observaient, s’épiaient, s’empruntaient… Tavernier a encore ce regard gourmand. On ne peut que pleurer lorsqu’on voit ce que notre cinema national est devenu dans son ensemble aujourd’hui.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Becker

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Renoir

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Gabin

https://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Carn%C3%A9

https://fr.wikipedia.org/wiki/Julien_Duvivier

https://librecritique.fr/?s=gabin

https://librecritique.fr/?s=tavernier

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