Variété, film muet. Jannings cocu magnifique. Lya De Putti vamp. Ewald André Dupont, talent. 8/10

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Contextualisons. En 1925 mon père était encore qu’à l’état de projet. Il naîtra en 1926.

Pour situer Variété(s), en dehors de mon cas familial, sachez que Nosferatu date de 1922. Et l’on sent dans ce cinéma allemand plein de vie et d’intelligence, que les acteurs ne demandent qu’à parler. Ils semblent un peu à l’étroit dans cette expressivité forcée qu’on leur demande encore et qui doit s’accompagner de nombreux roulages d’yeux. La liberté viendra peu après comme avec l’ Ange Bleu, qui en est une parfaite illustration en 1930. Un film parlant qui montre toute la puissance de cette nouvelle manière de faire.

  • C’est un peu comme ce bond quantique entre les bas reliefs égyptiens, confinant à être de profil, et la statuaire de Michel-Ange avec son David sans limite. Pour les Modigliani on attendra.

Ce drame est réellement jouissif.

Pas que je me réjouisse du malheur des autres ! Mais plutôt que j’adore ces « gueules » ultra-réalistes qui nous parlent (en silence), au milieu de quelques intermèdes hyper-expressionnismes.

Bien sûr, l’histoire nous est présentée avec une bonne dose de conventions qui nous paraissent désormais artificielles. Les jeunes générations auront sans doute du mal à pactiser avec cet entêtement du muet incommode. Comprendront-ils ce noir et blanc à la fois épuré et hyperbolique ?

Mais ne soyons pas bêtement anachronique. Épousons gaiement les pentes raides de ces montagnes russes (hongroises?) qui suivent les éminences et les abysses de ces débuts du grand cinéma.

En élevant ces roulements de yeux extrêmes au rang d’enluminures, on apprécie le reste de la composition. Ce récit immémorial sur l’adultère et sa punition, avec sa typographie minutieuse, en devient une vérité biblique (version B42). Ce réalisme, un brin paradoxal, est permis par des acteurs tellement vrais, qu’ils en deviennent intemporels. J’ai l’impression que le massif Emil Jannings est un contemporain, qui me fait des signes alors qu’il est juste en face de moi.

La Suisse n’a pas produit que des vaches à lait ! Ce grand carnivore, qui fait le coq gloussant dans L’Ange Bleu, s’est vu décerner le Premier Oscar du meilleur acteur. Un double exploit que personne ne lui prendra.

  • Si vous le voulez bien, on oublie un moment qu’il s’est affiché avec ce « protecteur » des arts, que pensait être Joseph Goebbels. Notre acteur bonhomme ne fut pas insensible aux thèses nazies. En échange de toutes ses compromissions, il a été sacré comme « artiste d’État ». Il a roucoulé un moment. L’après guerre fut moins reluisant pour lui, même après la douche de la dénazification.

Lya De Putti peut faire sourire à présent avec son look Louise Brooks et ses prétentions à être une vamp au cœur ardent mais noir. D’ailleurs ici elle donne dans une infinité de nuances, de la gamine perdue à la femme mûre et émancipée. Son parcours est plein de zones d’ombre, liées à sa psyché dépressive. Au point qu’à sa mort on lui octroie un suicide, alors qu’elle décède en raison d’un os de poulet mal placé.

Revenons sur les tréteaux. La petite Puttihoni soit qui mal y pense – a quand même du mal à séduire le grand Emil. C’est moins de sa faute que celle des préventions judéo-chrétiennes du chef de famille, quant à la désertion de sa femme et de son enfant. Le goût de l’aventure et l’idée d’enfin remonter sur les planches atténueront les scrupules du grand fauve blessé. Après tout, sa légitime est juste une empêcheuse de reprendre le flambeau du cirque.

Ces gymnastes à l’écran, franchiront l’obstacle tous les deux. Ils couleront des jours heureux et sans le moindre remord.

Mais celle qui a mené l’époux dans le péché, sera tentée de récidiver avec un célibataire cette fois. Bien sûr, elle a résisté de toutes ses forces au début. Et l’infâme Warwick Ward / Artinelli la juste coincé dans sa chambre. On n’est plus là dans la zone gise de l’emprise mais dans ce qu’on appelle de notre temps, à juste titre un viol. Mais à l’époque visiblement, c’était une manière de convaincre les récalcitrantes. Lesquelles étaient supposées ne pas trop savoir ce qu’elles voulaient et ce qui était bon pour elles.

  • Il y a des scories de cela dans certaines vieilles cultures où le fiancé rapte symboliquement la promise, dans la première phase du mariage.

La traîtresse tourne donc aisément sa veste. Et voilà notre Jannings cocu. Il l’apprendra par un dessin satirique laissé sur une table de café. Les cornes lui ont pourtant portées chance au jeu. On n’est pas à un cliché près.

Le réalisateur Ewald André Dupont a du talent.

– On lui doit un sulfureux Moulin rouge de 1928 avec la magnifique Olga Tchekhova. Et assurément il aime les femmes. Il sait orchestrer et magnifier les amours passionnées ; même quand il s’agit d’une Belle rondelette et d’une Bête au look un brin Raimu.

– Il nous fait le coup de l’immense flashback. C’était audacieux pour l’époque. On m’avait pourtant dit que ce « truc » datait du magnifique Le jour se lève de Marcel Carné, en 1939. Ouh les menteurs !

– Plus fin encore, il nous mène par le bout du nez. On s’attend à que le crime soit exécuté lors d’une fausse reprise de trapèze volant sans filet. Et bien non, ce sera à la loyale. Chacun devant disposer d’un couteau. Loyal si l’on veut, car le pauvre Artinelli, bourré comme un cochon, n’est pas en mesure de tenir vraiment debout. Le combat est rythmé et l’expressionnisme atteint son comble, au point que ces mimiques exagérées en deviennent inconfortables, pour les les voyeurs d’aujourd’hui. Mais au préalable, dans une vision imaginaire, Jannings laissera le partenaire tomber sur les spectateurs. On a donc quand même l’argent du beurre.

– Et puis il enchante le spectateur avec une sorte de documentaire fourni sur le cirque. On y voit de nombreux numéros exécutés avec grand talent. Ce qui vaudrait presque le détour, même sans l’histoire proprement dite.

L’image est sublime, les plans sont novateurs et l’on est impressionné par la qualité de cette restauration.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Emil_Jannings

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Lya_De_Putti

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