Avis film. Black Jack. Suède. Colin Nutley aime Helena Bergström. 8/10

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On doit cette perle rare à un réalisateur britannique naturalisé Suédois, Colin Nutley.

Ce transfuge aime Helena Bergström. Elle est à la fois sa femme et son actrice fétiche. Quel bonheur que de diriger et de pousser dans ses retranchements, cette charmeuse qui a 20 ans de moins que lui.

Voilà une emprise bien comprise et fortement recommandable. La même qu’ont connu de grands artistes. On cite souvent Picasso, dont chaque femme a libéré d’autres horizons picturaux. Bien sûr qu’un réalisateur doit aimer ses vedettes féminines et nous les faire aimer. Il ne manquerait plus que cela soit le contraire. Les ultra féministes haineuses qui n’ont jamais rien fait, à part de hurler, leur tombent maintenant sur le dos, au nom d’une moraline facile.

Bénissons ces miracles et tentons de nous mettre à leur hauteur, plutôt que vouloir les rabaisser au niveau fangeux de ces suffragettes débiles.

Je l’affirme, il n’y a pas besoin d’être un psychopathe pervers narcissique, doublé d’un mâle toxique pour sublimer et fantasmer ces rapports art et vie complexes, pour le bien commun.

C’était en 1990 et espérons que cela dure, même si cet amour a pu prendre d’autres formes.

Quelle acuité psychologique ! Colin Nutley connaît bien sa femme Helena. Il peut la mettre dans les bras de n’importe qui. Il ne s’en prive pas.

J’ai même l’impression que ça lui fait plaisir de voir sa femme embrasser délicieusement d’autres hommes. En voilà du bon piment.

Décidément le cinéma suédois va bien.

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Ce film n’est pas là pour nous faire la leçon. Il ne tombe pas dans les jugements faciles qui encombrent si souvent la toile, du type ceci est bien et ceci est mal, ou bien « je connais la vérité », « je vais vous montrer les lendemains qui chantent » ou son contraire « il n’y a plus rien à faire, tout est à jeter ».

Nutley nous montre simplement ce qui est, et non pas ce qui doit être. Son regard se nuance légèrement, en fonction de ses sympathies et de ses réserves.

Quelle leçon d’humilité, quelle force tranquille !

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Ces acteurs fétiches sont là. Eux aussi on les connaît très bien, car il sait en tirer un maximum. A force on devine très bien ce qu’on pense être leur caractère.

Ils jouent merveilleusement bien et on croit tout ce qu’ils font.

Le petit malin qui se saoule, n’est pas très beau. Il n’arrive pas à draguer correctement. Il se traîne une réputation d’éjaculateur précoce, dans ce petit clan où les uns et les autres s’observent et cherchent à se cataloguer. Il porte une marque d’infamie et aucune fille n’a envie de s’y compromettre.

Sa frustration est profonde et quand il est désinhibé par l’excès d’alcool, il se laisse aller. Quand il est au 36ème dessous, il devient bravache, envahissant et lourd. Et ses appels à l’aide, maladroits et déchirants, sont on ne peut plus crédibles. On ne perçoit cette intensité que rarement au cinéma. Il est difficile de jouer quelqu’un de saoul sans tomber dans la caricature.

On sent monter cette révolte et ce pathétique qui nous habitent tous. C’est à la fois, que beau, moche et émouvant. Et paradoxalement, même s’il va très très loin, en tant qu’acteur, il n’en fait jamais trop. On peut dire ça pour bien d’autres personnages.

Helena Bergström est remarquable dans ce rôle qui exige énormément de finesse. C’est une femme libre, belle et souveraine et qui sait mener sa vie. On pourrait penser que tout lui sourit. Mais ce n’est pas si facile d’être la plus belle. Et puis, c’est aussi une personne raisonnablement fragile, de part sa situation de mère célibataire et son déracinement. Elle a ses exigences et ses choix sont difficiles. Elle cherche à dominer l’homme le plus indocile et le plus recherché de tous. Alors qu’un bonheur tranquille l’attend. La non-conclusion finale est de toute beauté.

Bien que les scènes soient mouvementées et accidentées – comme dans la vraie vie – elles sont peintes avec beaucoup de délicatesse et sans mièvrerie aucune.

C’est tellement bien fait, que même les enfants ne sont pas ridicules. Ce qui est extrêmement rare au cinéma.

Et s’il fait froid et si quelques flocons de neige tombent, et si des acteurs se retrouvent derrière une vitre frappée par la pluie, cela n’en devient pas pourtant une parodie de Bergman.

***

Ce Nutley semble sans attache. Ici tout est vrai. Il n’est pas besoin d’en faire des tonnes pour faire preuve d’un haut niveau d’interprétation dans le grand jeu. Bien au contraire.

Le big game, consiste à procéder par fines touches, pour nous emmener exactement à l’endroit où l’on doit être, avec l’ouverture d’esprit qu’il faut. Cet état de conscience qu’il suscite permet d’absorber tout autant le dérisoire que le grandiose. Le tout restant à taille humaine. Que nous faut-il de plus ?

C’est la vibration la plus profonde que l’on puisse percevoir, et qui s’exprime d’autant mieux que l’on est dans l’espace ordinaire. Un peu comme pour les tableaux de Vuillard qui montrent « le dharma body dans un intérieur bourgeois ». Cette citation, c’est à Aldous Huxley qu’on la doit. Il a tout dit par là. Et comme lui, comme Rimbaud et comme pour quelques Nabis, on nous donne à « voir ce quelquefois l’homme a cru voir ».

On n’a pas besoin de héros. Et pour figurer le groupe musical qui est au centre des évènements, on n’a pas à réquisitionner ABBA. On joue la modestie retro bien plus crédible. Et c’est bien mieux comme cela.

Ces gens là, avec leurs petites gloires et leurs petites misères peuvent nous montrer plus distinctement une part de nous-même. À un moment ou un autre nous sommes eux. Cette harmonie doublée d’une spiritualité implicite, se fait se défait et se refait toujours. On sent sa vibration et cela donne la chair de poule.

C’est donc un cinéma propre, sans scories, sans cynisme blasé et d’une profonde honnêteté. Même s’il est bien plus remuant qu’on le pense, s’il fait des pas de côté, ce peuple est doté d’une profonde cohésion.

Nos académies manquent totalement de clairvoyance, pour n’avoir jamais primé au sommet ce Colin Nutley ou cette Helena Bergström. La reine parmi les reines mérite un Oscar ou bien, puisque nous sommes en Suède un prix Nobel d’interprétation. Nutley a approché l’Oscar (meilleur film étranger) mais il ne l’a pas décroché. Dommage ! Maintenant c’est foutu car ces films ne sont pas assez woke et ne sont pas centrés sur la défense de l’une ou l’autre des minorités.

C’est mieux finalement. Que les Suédois continuent à garder précieusement ce trésor et qu’ils ne le divulguent qu’à ceux qui sont capables de le ressentir et de le comprendre.

Belle brochette à travers l’histoire du cinéma de ce pays. Vous avez désormais Molander, Nutley, Ostlund et Bergman bien sûr. Gardez-les bien au chaud. Ne les exposez pas à la critique imbécile.

https://en.wikipedia.org/wiki/Blackjack_(1990_film)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Colin_Nutley

https://fr.wikipedia.org/wiki/Helena_Bergstr%C3%B6m

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