Avis non juif. Formidable Envol, Motti Wolkenbruch. Sociologie réussie. Mère juive. 7.5/10

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La Suisse alémanique nous a gratifié de ce Formidable Envol de Motti Wolkenbruch (Wolkenbruchs wunderliche Reise in die Arme einer Schickse) – Ce réveil fait bien plaisir. Jadis le cinéma suisse avait produit quelques fusées notables, avec une ambiance bien à eux. Je pense par exemple à L’invitation. Film suisse. Goretta. Michel Robin. Bideau. Puis la belle s’est endormie…

En ce qui me concerne, j’estime qu’un bon film doit être plaisant à voir, mais aussi il doit donner à penser ; le vieux principe « instruire et divertir ». Et aussi bizarre que ça paraisse, ce film humoristique léger remplit les deux cases. Certes il ne le fait sans doute pas volontairement. Mais qu’importe, ce qui compte c’est le résultat.

Film juif ou film qui veut au contraire échapper à une certaine ghettoïsation de ce sujet ?

Dans leurs amours, ils sont très « physiques », les jeunes de cet opus. Alors que leurs parents traditionalistes restent très procréatifs ; pas du tout romantiques.

L’intrigue est bien « foutue ». Je parle un peu vulgairement, car le film se prête à une certaine familiarité. Il ne s’agit pas de vulgarité au premier degré. On est témoin ici d’un dépouillement sentimental, voire d’une de-poétisation, bien en adéquation avec notre époque. Parler cru ne gène donc pas.

Vu de loin, cette vue chirurgicale des rapports humains, peut sembler manquer de rêve et d’inventivité, mais le bon dieu se cache dans les détails. Et les détails intéressants sont nombreux ici.

Le film est prenant. La prise de vue est belle, le rythme parfait et l’histoire est sympathique.

Pour une fois la yiddish mama est pas mal dépréciée. Elle passe même pour une rabat-joie. La cause de la continuité ethnique et clanique qu’elle nous présente, n’est plus si défendable que ça. En fait elle agit en fonction d’interdits historiques (quasi bibliques) et non pas grâce à une réflexion antérograde et porteuse.

Et ce qui compte pour elle avant tout, c’est le regard de la communauté. Elle n’hésitera pas à renier « publiquement » son fils, qui ne satisfait plus à la check-list de la belle union juive. Plus question de bénédiction Mazal Tov.

A l’inverse le papa est bienveillant, mais en cachette. Il est lui une « victime » des dogmes du mariage. Et dans cette société patriarcale en réalité, ce contresens est assez saisissant.

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Mais en fait, il ne faut pas chercher la petite bête, c’est une comédie. Rien de plus, rien de moins. Les spécialistes vous diront que la comédie est le genre le plus difficile à réaliser. Et je veux bien le croire. Alors n’y voyons pas une œuvre philosophique, ne cherchons pas une parfaite rationalité, une thèse. Laissons nous bercer, faisons la planche… cela nous mènera d’ailleurs aux plages de Tel-Aviv.

Tout au plus peut-on y deviner un léger regard sociologique. Et finalement, bien qu’ils soient à l’aise autour d’une même table, la thèse principale est assez anti-communautariste et individualiste.

On pourrait transposer les critiques implicites du film à toutes les communautés, lorsqu’elles sont trop repliées sur elles-mêmes. Il pourrait s’agir de Turcs, d’Arabes, de pratiquants d’une des nombreuses religions indiennes…

A ce sujet, justement, cette pratique dans la clandestinité du « Om Shalom », qui associe le judaïsme aux chakras (ॐ), est bien vue et tordante. Surtout quand elle permet une troisième voie, qu’annoncent les œillades copulatoires, faites elles aussi en cachette.

J’aime bien ce passage chez le rabbin. La famille désespérée tente de réduire la résistance du jeune homme au mariage semi-arrangé juif. C’est comme toujours une leçon de philosophie par l’absurde. Elle consiste à soulignerque les instances religieuses ne peuvent rien aux questions les plus privées, reposant sur les sentiments. La communauté ne va pas tenir la chandelle au bord du lit.

In fine, ces guides supposés, s’en remettent à dieu. C’est une preuve de leur impuissance et/ou de la surpuissance de l’au delà dans nos destinées, ce qui revient au même. Ce rabbin ne sert à rien.

Pourtant il était rigolo ce rabbin chanteur.

Ce détour par la case rabbin est un grand classique. Il est très bien géré dans ce film. Mais d’autres ont poussé cela très très loin.

  • J’ai en tête l’excellent A serious man. Des frères Coen (2009). Là, le jeune rabbin mouline dans le vide, avec son récit métaphorique suggéré par le parking d’en face. Le vieux est difficile à approcher et tout aussi creux et insaisissable.

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Le jeune acteur Joel Basman, 28 ans, se débrouille bien. Il peut, car il profite d’un bel éventail de jolies demoiselles, qui sont à sa dévotion.

Elles sont bien différentes dans leur typologie, non seulement en fonction de la barrière de la religion, mais aussi parce que l’une représente la brune lascive éternelle et l’autre la blonde éthérée tout aussi mythologique, en tout cas telle qu’elle est vue dans le cinéma. Les états d’âme de la blonde ainsi que ses revirements, montrent pas mal de souplesse et une indétermination non stérile, que j’apprécie. J’aime bien aussi que ces deux jeunes femmes soient à l’initiative. C’est clairement un progrès de ce bel armistice des sexes (armistice = non-guerre / statu quo)

Elles sont de dignes représentantes de leur génération. Pas que l’homme désormais n’ait plus d’importance. Il est toujours au centre de leurs attentions. Mais simplement, on a atteint de nos jours, une certaine égalité la drague. Ici, comme sans doute pour cette génération occidentale en général, les approches ne sont plus le fait exclusif des hommes. Et cette drague plus policée des femmes, apporte une jolie légèreté…

  • Mais qu’est-ce qu’elles attendent donc pour me solliciter !

Le visage de ce comédien suisse Joel Basman nous est connu. En effet il est présent dans de nombreux films.

Noémie Schmidt ne correspond pas à mon idéal de beauté, avec son visage bien trop anguleux et rectangulaire. Mais elle a beaucoup de charme. Son talent est palpable. C’est la blonde « non-juive » qui approche dangereusement Joel. L’ennemie « raciale » à abattre. D’ailleurs son fin fessier est aux antipodes de la généreuse graisse de la mère allaitante, la vocation première de la mama.

« On ne veut pas de son sang, chez nous ! » – Elle est de SionSuisse ce qui n’en fait pas une sioniste. Du même âge que Basman, elle a été moins productive.

Udo Samel est le vieux papa juif bedonnant et tolérant.

La vieille juive richissime, qui se mêle du divinatoire, est interprétée par Sunnyi Melles. Une actrice très connue. Nous l’avons « rencontré » dans Maigret. Nuit du carrefour. Bruno Cremer déshabille Sunnyi Melles. Dans le film qui nous occupe, ses prévisions divinatoires étant encore plus vagues que celles de Nostradamus, elles devraient bien sûr se réaliser (après réinterprétations acrobatiques et en fonction des conventions à l’écran).

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Inge Maux est la mama juive possessive. Un personnage central, dont on va parler à présent. Le « gros » morceau, si je peux me permettre. Le yiddish a un mot pour souligner les gros popotins. L’équivalent du Ndombolo africain.

Cette sorte de Mouchy (Marthe Villalonga, en mère juive de Guy Bedos) occupe tout l’écran. Mais prenons garde de ne pas essentialiser.

La mère juive iconique n’est pas seulement la mère juive caricaturale, c’est une composante de la mère universelle. Elle nous appartient à nous aussi. Et croyez moi, certains la connaissent.

Dans sa projection hyperbolique, elle est massive, et ne dévie pas de cap. Elle voue à son fils, un amour envahissant et indéfectible. Cette immensité des sentiments, cette monomanie, font qu’elle pense que son rejeton lui doit tout.

Ce qui n’empêche pas de le réprimander, voire comme ici de le renier un temps. En fait, elle a accumulé un pouvoir exceptionnel et le met au service de ce qu’elle pense être le bien de sa tribu. C’est fait de dirigisme pas trop nuancé, et d’affection auto-satisfaite : « puisque je l’aime, puisque je suis la seule à pouvoir l’aimer tant, je me vote toutes les autorisations »

Y compris celle de valider les brus, en tentant d’authentifier, celles qui pourront l’aimer et le protéger « presque » autant qu’elle. Mais de toute façon, ces mères maîtresses femmes, se doivent de garder le leadership dans ce thermomètre affectif. Ainsi ce sont elles qui réclameront les premières des petits enfants !

Si vous analysez bien, vous verrez que ces principes sont vissés au fond de toutes les mères. Déjà parce qu’elles sont des femmes et que nombre des femmes exigent l’amour absolu et indéfectible, jusqu’à la mort. C’est bien sûr une position de principe mais elles sont persuadées qu’elles sont les garantes de l’éternité. Qui faire ?

Cette quête d’absolu, appliquée à la protection de sa couvée, est un principe protecteur de l’espèce. C’est pourquoi, elles ne peuvent pas s’en détacher.

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Le seul reproche qu’on puisse faire au film, et encore, c’est d’être dans ce cas de figure bien trop convenu, du garçon plutôt gauche, qui va séduire les plus jolies jeunes femmes de son entourage. Ce qui donne un air démagogique (vous êtes effacé et pas terrible, nenni, vous tomberez les meilleures gonzesses).

On voit ça dans presque tous les films coming of age américains. Mais ici, on peut pardonner, car l’impétrant n’est pas fondamentalement gauche. Il est juste coincé dans certains préjugés de sa communauté et puis il va prendre son envol (d’où le titre).

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Dans le temps, dans les films, on pouvait voir des secrétaires avec de monstrueuses lunettes, les cheveux tirés en arrière, les vêtements tristes et qui finissaient en bombasses absolues.

Et voilà la revanche ! Le jeune, un garçon cette fois, a des lunettes austères, une barbe pas terrible… Mais il finit en Playboy acceptable avec de meilleures lunettes, sans barbe, et avec des habits branchés.

Depuis les films de Woody Allen, réalisateur-acteur (il est cité en contre-exemple dans le film), depuis les frères Coen, certains Polanski, et quelques autres, on est habitué à cette autodérision. Une sorte d’humour juif à contresens, qui se moque de lui-même.

J’avoue que j’aime ça.

Le rire que nous avons est respectueux. Et si nous nous sourions autant, c’est que ce monument qu’est cette culture juive, passablement incompréhensible pour nous les goïs, nous impressionne et que de le voir en chute libre de son piédestal, entraîne des montagnes d’humour.

PS: étant juge et partie, je m’abstiendrai de tous les commentaires désobligeants sur les propriétaires de Toyota Previa. Alors qu’on ne se gène pas de le faire dans le film. Mais je ne pense pas moins… Et en fait il y a prescription, la notre fut revendue il y a plus de 30 ans.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Formidable_Envol_de_Motti_Wolkenbruch

https://fr.wikipedia.org/wiki/Joel_Basman

https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%A9mie_Schmidt

https://fr.wikipedia.org/wiki/Udo_Samel

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sunnyi_Melles

https://fr.wikipedia.org/wiki/Un_%C3%A9l%C3%A9phant_%C3%A7a_trompe_%C3%A9norm%C3%A9ment

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