Hanna en société. Olsson, Rut Holm. Cinéma suédois, considérations ethniques. 1940. 7/10

Temps de lecture : 5 minutes

J’ai suivi de près le cinéma suédois des années 30 aux années 1940. Pour le simple et bonne raison que L’Entrée de service de 1932 est une romance de qualité et fut mon entrée à moi dans ce monde fermé là. On le doit au brillant Molander dont le film n’aurait pas été aussi génial, sans mon actrice fétiche de Tutta Rolf.

  • C’est une jeune actrice norvégienne-suédoise, à la présence remarquable. On ne voit qu’elle ou presque. Elle est « moderne » et sait être le grain de sable qui menace l’establishment. Ses cheveux courts lui vont à ravir. Ce qui n’est pas le cas de notre dernière Miss France androgyne.

La comédie pèche trois fois.

1) Péché par idéologie :

Il n’y a pas cette belle perturbation sociale qui remet en place les équilibres. Ici le remue ménage ne sert que les middle-class laborieux, au détriment des riches de l’ancien monde, et cela sans nuances.

Il y a même un propos tenue par l’héroïne et qui se révèle alarmant pour cette année 1940 : « les journaux disent vrai, les mentalités changent ». Comme si cette ambiance national-socialiste avait gagné totalement ce pays, supposé militairement neutre.

Et en effet la Suède est prête à bien des concessions, pour ne pas fâcher le vainqueur du moment. Mais aussi et surtout parce que les nazis ont une doctrine, qu’elle ne renie jamais vraiment. Pour ne citer que cela, l’eugénisme au profit de la pureté raciale, était utilisé officiellement depuis un moment (*).

Il y a aussi un côté « la terre ne ment pas », qui flatte le retour à la ferme, et qui ne déplairait pas à notre maréchal Pétain déchu.

2) Le réalisateur Gunnar Olsson n’est pas Molander.

3) Last but not least, ma Tutta Rolf n’est pas de la partie. Un seul être (êtresse?) nous manque et tout est dé-populé. Rut Holm est certes bien plus grosse, mais elle ne fait pas le poids.

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Fort heureusement, tout n’est pas bassement politique dans ce bas monde. Cette comédie est assez neutre, quand elle démontre que « rira bien qui rira le dernier ».

Sous des dehors patauds, l’Hanna éponyme, la gouvernante fidèle du vieux colonel joué par l’inoxydable Carl Barcklind, n’est pas si bête que cela. Lui, comme elle, sont « dérangés » par cette famille grossière, qui ne le visite qu’en pensant à l’héritage. Gros sabots dorés.

Le vieux clamse et ne leur laisse rien. Il cède tout à la modeste Hanna. Et bien entendu les aigrefins du sang du défunt, cherchent tous les moyens pour contrer ce mauvais coup.

Elsa Carlsson, une ayant droit qui s’estime dépossédée, cherchera à faire interner la gagnante. Elle l’incite à la prodigalité. Mais la servante n’est pas à l’aise dans le luxe.

Un autre bénéficiaire « spolié » cherchera à marier l’ancienne gouvernante, pour récupérer tout le magot.

Les basses manœuvres ne réussiront qu’à mettre en valeur l’hypocrisie du système. L’héritière, aidée par une homologue (Dagmar Ebbesen), donnera sa fortune aux bonnes œuvres. Elle créera un fond pour les gouvernantes à la retraite (et les soldats de la Wehrmacht ? (j’rigole)). Le fidèle releveur de compteurs EDF Bengt Djurberg lui reviendra de droit. La coquine !

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L’histoire B consiste à repêcher Eivor Landström, une jeune femme désintéressée de la famille du vieux. Elle, c’est une pure, voire une innoncente (On parle de Jeanne d’Arc dans le film et cela pourrait être elle, la virginité et la combativité en moins. Elle n’a pas non plus les cheveux courts. Cette swedish beauty, qui ne remplace pas ma Tutta Rolf, ne rêve que d’une vie simple à la campagne. Elle cultiverait cette « terre qui ne ment pas » et fabriquerait des bébés aryens de bonne qualité (j’rigole encore).

Il lui faut donc un mari. Karl-Arne Holmsten, l’acteur aux 80 films, est un beau candidat. Il possède la ferme tant désirée, mais aussi des dettes. Des filous profiteurs veulent en profiter pour racheter son bien à vil prix. Voilà une occasion inespérée pour la gouvernante de faire une bonne action et un happy-end.

On peut se laisser attraper par ce déroulement « feel good ». Et ceci d’autant plus que l’ex domestique Rut Holm est joviale et marrante dans son genre.

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(*) La Suède est caractérisée par sa politique de neutralité pendant la dernière guerre. Mais en réalité elle a fait de « belles » concessions à l’Allemagne nazie.

Et on ne connaît pas grand-chose de son avant-guerre. On parle pourtant de racisme scientifique ou biologie raciale, comme le montre la création dès 1922, d’un institut de biologie raciale. Les « recherches » de cet établissement public visaient à faire des liens entre les races et la criminalité, l’alcoolisme, et les pathologies mentales… En 1934 il y a eu une loi pour la stérilisation forcée.

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A noter qu’il a existé un Parti National Socialiste suédois, dirigé par Sven Olov Lindholm et franchement nazi. Il n’a été interdit qu’en 1950 !

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Il faudrait lire in extenso « The Visible Wall: Jews and Other Ethnic Outsiders in Swedish Film » de Rochelle Wright 1998 (disponible sur internet) :

  • « L’auteur propose un aperçu historique et une analyse de la manière dont les Juifs et d’autres groupes ethniques étrangers ont été représentés dans le cinéma suédois de 1930 à nos jours. Son approche interdisciplinaire des questions liées à l’ethnicité et à l’identité utilise la méthodologie des historiens et des sociologues. »

Avant de lire ce que cet auteur en dit, j’ai moi-même souligné le cas du « faisant fonction » de juif marchand caricatural dans Chère Famille. Résumé film. Tutta Rolf Ange bleu. Argent et partie-cul. Molander, Suède nazie ? 7/10 – En 1940, cette dérision affichée à l’encontre des juifs, suivie d’un coup de pied au cul symbolique, est d’une extrême gravité. On sait où les mènent ce coup de pied. Tout droit dans les camps de la mort.

Mais laissons s’exprimer Rochelle Wright :

  • « Ludwig (Edvin Adolphson) marchande avec Friis (CarlBarcklind). Les gestes et les manières « non suédoises » de Ludwig, alors qu’il se penche par-dessus le bureau en agitant les papiers à Friis, soulignent son statut d’étranger ; de même, la ligne tombante des tulipes à gauche du cadre attire l’attention à la fois sur la posture de Ludwig et sur la forme de son nez, et donc sur son identité ethnique. »
  • « Le seul personnage important du film qui ne fait pas partie de cette constellation des parents, est le directeur Ludwig (Edvin Adolphson), identifié dans le scénario comme un “privatdiskontör” (discounter privé). Les quatre scènes dans lesquelles il apparaît commentent et contrastent avec l’intrigue principale. Le fait que Ludwig soit juif attire l’attention et souligne son statut d’étranger.
  • Son identité ethnique n’est pas déclarée ouvertement mais est néanmoins immédiatement transmise au public. Bien que son suédois, comme celui de Josephson à Söderkåkar, soit sans accent, son apparence physique est reconnaissable sémitique : il a des cheveux noirs et bouclés et un nez crochu. Ses manières, comme celles de Mosesson dans Trötte Teodor, ne sont absolument pas suédoises.
  • Ludwig est d’abord vu penché sur le bureau de Friis, les épaules voûtées, gesticulant sauvagement, balbutiant, puis parlant à un rythme effréné tandis que ses traits se tordent de manière exagérée et grotesque. Sa profession – il est prêteur d’argent et spéculateur financier – est traditionnellement associée aux Juifs. Pour renforcer encore son appartenance ethnique, il se désigne dans son premier discours par son nom complet : Ruben Nathan Isaaker Ludwig. »

Pour stopper la déprime, je vous retransmets ce que me propose google avec les termes ” swedish beauty” :

https://www.vr.se/download/18.2412c5311624176023d255b4/1529480557405/Swedens-Relations-Nazism-Nazi-Holocaust_VR_2006.pdf

https://en.wikipedia.org/wiki/Rut_Holm

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