Le titre semble en contradiction avec l’esprit bonhomme des débuts du film. Quoi de plus paisible que cet avenant et prévenant Jean Gabin, en patron d’un petit restaurant côté des Halles, surtout si on y rajoute, peu de temps après, l’angélisme affiché par Danièle Delorme.
Cette pesante mise en garde sonore est vite atténuée, puisqu’en fait il ne semble s’agir que d’une chanson des rues sans prétention.. ou d’une allusion poétique issue des Illuminations d’Arthur Rimbaud.
Une fantaisie « criminelle » de générique. Et tant que cela ne reste que des mots, ce n’est pas plus dangereux que la complainte de Mackie Messer (tueur au couteau), écrite par Bertolt Brecht sur une musique de Kurt Weill. Qui penserait s’emparer d’un couteau après avoir entendu cela ?
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Danièle Delorme est une très jeune femme, à la fragilité troublante. Elle ne manque pas de charme et ceci d’autant plus que son regard est voilé juste ce qu’il faut, par une discrète coquetterie. Rien de louche là dedans (hum). En 1956 elle a déjà 30 ans et cela ne se voit pas du tout. En tant qu’héroïne de 20 ans, elle donne parfaitement le change.
Jean Gabin est immense comme il se doit. Il montre une force contenue de taureau culinaire. Il exerce son art avec un brin d’obséquiosité, mais s’empresse de tirer la langue dès que le client prétentieux a le dos tourné.
Là, on est dans la même année que l’extraordinaire Traversée de Paris avec Bourvil et Louis de Funès. Et dix ans plus tard, Louis de Funès se permettra d’ailleurs un magnifique clin d’œil en direction de Gabin, dans Le Grand Restaurant avec quasiment la même « scène du radis ».
Bon, les assassins rodent, on reste quand même sur notre garde. Et on a bien raison. Cet environnement soupçonneux entretient notre attention.
À l’instar de ce banquet au milieu du film, affichons notre fierté d’être français. Tel un grand chef cuisinier, le réalisateur Julien Duvivier a les bons produits et la bonne manière de faire. Voilà un film où tout est correctement mis en place, ou rien n’est inutile et tout concourt à un bon résultat.
Tout ce qui est montré, tout ce qui est fait, est utile au film. Aucun remplissage là dedans. Danièle Delorme est une petite enfant de cœur qui cache bien sa perversité. La Belle s’apprête à manger la Bête. Goliath, le fort des halles contre cette David, frêle jeune femme.
Oui, elle a une revanche à prendre sur la vie qui n’a pas été tendre avec elle. On pourrait presque la comprendre. Et sa jolie petite mine nous incite à la pardonner. C’est un beau piège tendu par Duvivier.
C’est un morceau de bravoure que de contraindre un Gabin, généralement dur à cuire, à se faire tout petite devant une poupée. Elle n’a pas les épaules larges et donc Gabin a mis du sien pour rendre tout cela crédible.
Mais quand même, faire du tort à notre Gabin si doux, c’est difficile à avaler.
- Cet acteur émérite à tout pour plaire. Ce héros de la France Libre, si modeste ou sortir de la guerre est une de nos grande fierté. Il incarne les belles valeurs de la république, tant sur la liberté, que l’égalité et la fraternité, et cela se sent très bien ici. Heureusement que ces valeurs rappelées ici, ne sont pas outrées et criardes, voire politicardes, comme dans cet autre film de Duvivier, La Belle Équipe (1936).
Voici le temps des assassins n’est pas dépourvu de dimension morale ou moralisatrice. Mais ce n’est pas trop encombrant,vu que ces questions sont exposées avec du « en même temps ».
Bien sûr que ce vieux monsieur un brin naïf, se laisse prendre par une femme bien trop jeune pour lui. D’autres plus lucides que lui auraient pu « gérer » ce genre de situation, qui n’est pas si inhabituelle que cela. L’union des contraires est même un des grands principes de l’amour. Dans un monde idéal, cette situation aurait pu être confortable pour l’un et l’autre. La position n’est pas forcément critiquable.
Vu le déroulé du long-métrage, on pourrait quand même lui taper sur les doigts.
Oui, dans certains cas c’est une faute. Mais non, car dans d’autres cas c’est un plus, menant à un bonheur partagé. Le Viva la Libertà du Don Giovanni de Mozart comporte cette ambivalence. De la nuance please !
- Le controversé Yann Moix ne dit pas autrement. Laissons hurler les féministes toxiques, qui chaque jour perdent un peu plus de crédibilité.
« Soyons suffisamment ouvert mais restons vigilant ». La grande leçon du film est plus universelle encore, c’est ce potentiel de confiance que s’accordent les êtres humains.Gabin sert d’exemple. Si cette absence d’appréhension est trop candide, elle préfigure des désastres. Mais à l’inverse, si le regard vers l’autre est trop pointilleux et plein d’arrières-pensées, il détruit tout. La vérité oscille entre les deux. Et ce mouvement de balancier est typique de l’incertitude ontologique de l’homme. Il se peut qu’il en joue, sans même le savoir.
Les rapports de Gabin avec son protégé Gérard Blain en étudiant en médecine, sont des rapports quasi paternels. Et ce gamin est encore plus innocent et intransigeant que son maître à penser. Il a donc besoin d’un certain degré d’affection aveugle. Et dans le film la méfiance qui est mauvaise conseillère pour les deux parties. En définitive le jeune et le vieux auraient eu raison de maintenir ce lien fort et forcément fragile. S’ils n’avaient pas été abusés par les beaux yeux (convergents) de Danièle Delorme.
La vieille folle interprétée par Lucienne Bogaert et qui attend son heure, dans cet hôtel miteux réalise un tableau en soi. On peut penser son jeu exagéré, mais on découvre qu’elle est droguée et tout s’explique.
La mère de Gabin (Germaine Kerjean) avec son fouet ne vaut pas beaucoup mieux.
C’est du cinéma rassasiant, il y a plein d’entremets, comme cette allusion au lait de Mendès France, ou ce petit chien qui titube après avoir avalé son dessert trop arrosé, ou cet autre chien – un Briard sans doute – dont la présence est révélatrice et qui participe au final du film, sans qu’on sache vraiment si c’est lui qui vient à bout de Danièle Delorme ou bien si elle s’est suicidée.
À noter une nouvelle fois ce client difficile et pingre qui se contente d’un radis ce qui bien sûr sera repris dans le grand restaurant par Louis de Funès ; un bel hommage – Comme pour se dédouaner de ce qui pourrait passer pour une critique d’un « métèque » près de ses sous, ce dernier fera très largement bombance dans un deuxième temps.
Il y a aussi ce clodo qui n’a pas sa place dans ce restaurant, mais qui agite pourtant un gros billet et qui se dit prêt à avaler tout le menu. Gabin le magnanime est indulgent. Cependant c’est l’heure de la fermeture mais le clodo repartira quand même avec son litron et un camembert.
Le riche qui ne veut que du Château d’Yquem grand cru, au prix faramineux, se retrouvera puni des sa prétention, avec un banal Monbazillac. Encore un croche-patte de type front populaire.
C’est une part du génie français que de marier le riche et le pauvre, dans cette communion gastronomique.
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On doit à Duvivier d’autres films notables et diversifiés, comme Pépé le Moko, La Fin du jour, Panique, Le Petit Monde de don Camillo. Mais personne ne parle de Pot-Bouille (1957), ce film d’après guerre d’après Zola et qui vaut le détour.
- Tavernier dans son testament Voyage à travers le cinéma français avant guerre, ne pouvait pas ne pas parler du très connoté front populaire La Belle Équipe de Julien Duvivier. Film un peu surfait à mon avis. Il n’évoque pas Pépé le Moko ou Le Petit Monde de don Camillo. Mais il cite Panique et Voici le temps des assassins, ce qui est bien normal.
- Ce réalisateur est décrit par Bardèche et Brasilach comme un académicien du cinéma. Ce n’est pas un compliment. Ils le voient comme un metteur en scène habitué aux ruses de la scène et qui fait des concessions. Ce sont des allusions claires aux rapports entre La belle équipe et le « style front populaire ».
https://fr.wikipedia.org/wiki/Voici_le_temps_des_assassins
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Grand_Restaurant_(film,_1966)
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Gabin