Avis. Diable et Dix Commandements. Film français de qualité. Meilleurs acteurs. Réussite Duvivier. 8/10

Temps de lecture : 6 minutes

Divine surprise !

Julien Duvivier a su faire un très bon film à sketches. Ce Diable et les Dix Commandements de 1962, a été conçu intelligemment. Le réalisateur a convoqué une brochette incroyable d’acteurs notables.

Ce cher Claude Rich est la voix off du diable. On l’entend alors qu’il prend la forme d’un serpent. Ce n’est pas l’élément le plus intéressant du long-métrage. Mais cette curiosité reste acceptable.

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Le premier sketch est déjà excellent. Il repose sur un bon contraste entre la société civile et les religieux. Mais il doit beaucoup à la sobriété du sujet et la qualité des comédiens qui le servent.

Michel Simon est un vieil homme à tout faire d’un couvent. Il est incapable de respecter le « tu ne jureras point » – Il dit « nom de dieu » à tout bout de champ, mais de manière automatique et sans arrière pensée. Cela m’a toujours semblé curieux que ce très innocent « nom de dieu » soit un péché. Je ne vois vraiment pas le mal. Il faudrait faire l’historique de cette locution pour comprendre. Le « my God » n’est pas plus encombrant mais les anxieux qui veulent se préserver une place au paradis, ou ne pas heurter la cible chrétienne, lui préfèrent ce piteux « my Gosh ». Le « porco Dio » des Italiens (« bon Dieu de merde ») est bien plus grave.

Lucien Baroux l’évêque vient visiter les bonnes sœurs. Et Michel Simon aura du mal à cacher sa joie vu que c’est un pote de classe avec lequel tout jeune il a fait les 400 coups. L’ambiance se réchauffera et la parole sera assez libre. Mais l’évêque contraindra « gentiment » à faire apprendre à Michel Simon les dix commandements. Et dans le sketch final on verra que Michel n’a rien appris et que le brave Lucien, comme la plupart d’entre nous, est incapable de les réciter.

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En 1960, ce cher Henri Tisot a percé grâce à une bonne imitation de Charles de Gaulle. Mais il n’est pas venu ici pour cela. Il incarne un timide qui est en admiration devant la danseuse effeuilleuse Dany Saval. Lorsqu’il apprend qu’elle a été lourdée du cabaret, notre petit homme se précipite à son domicile. Et là patatras, sa déesse dans le civil est vulgaire et superficielle. Elle est la femme du concierge lourdaud Roger Nicolas et non pas un reine exotique sans attache. La leçon n’est pas tant la condamnation des délices de la chair, que la mise en garde devant les rêves et les illusions. Léger et bien joué. A noter l’apparition en « girl » de notre jolie Mireille Darc.

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Le « Tu ne tueras point » est habilement détourné. D’emblée on voit se suicider Hénia Suchar la sœur du séminariste Charles Aznavour. Elle a laissé un carnet donnant tous les détails sur les méfaits de son proxénète Lino Ventura. Aznavour voudra la venger. Il quitte la robe. Et sa hiérarchie au séminaire, mais aussi son pote flic Maurice Biraud, craignent qu’il n’assassine Ventura comme il l’a suggéré lui-même. En fait il monte une combine avec un supposé chantage au carnet. En fait il veut que le méchant Lino Ventura tire sur lui, de manière à le mouiller définitivement. C’est moins léger que les autres sketches, mais dans son genre cela se défend. A nouveau de grands artistes au service d’un tout petit format.

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Le « Tu ne convoiteras point la femme de ton voisin » est assez emberlificoté et hors sujet. C’est « L’envie » qui domine ici. Les libéralités du grand Mel Ferrer sont au centre de l’affaire. Mais il faut aussi qu’il soit face à des femmes « intéressées ». Il offrira des bijoux Van Cleef & Arpels à sa maîtresse officielle Micheline Presle, mais aussi à Françoise Arnoul la femme d’un de ses amis, le metteur en scène palot Claude Dauphin. Marcel Dalio est un joaillier très efficace à la vente et qui fait des ronds de jambe. Toutes deux succombent ou re-succombent. Françoise Arnoul tentera un stratagème type « objet trouvé » pour justifier qu’elle puisse porter un bijou si précieux. Mais telle est prise qui croyait prendre. Elle comprendra que son mari tout gris a réussi à coucher avec la grande Micheline. C’est compliqué, mais au moins les scénaristes se sont creusés la tête. On est bien plus paresseux en France en ce moment.

  • Anecdote : feu mon père, ce grand amateur de femmes, se ventait de s’être baigné dans le sud, en compagnie de Françoise Arnoul. Une sorte de rencontre accidentelle. Ils se seraient parlés. Et j’ignore si cela a pu aller plus loin. En tout cas ce tout petit souvenir, qui n’avait duré que pendant une ou deux phrases, et sur lequel il n’est jamais revenu, m’a laissé une trace. Maintenant que je vois la belle, alors que j’ai désormais bien plus que l’âge où il nous a quitté, je peux comprendre son émoi et son embarras à en dire davantage.

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Avec Fernandel on entre dans le lourd. L’adoration ou non d’un seul dieu. La problématique tient un tout petit peu dans cette possible opposition entre notre dieu « blanc » et celui tout « rouge » du totem présent dans la cour. Mais ce n’est pas cela l’essentiel. Fernandel est dieu. Il est venu voir les humains. Il se plaint qu’on n’ait pas compris son message d’amour universel. Seule une petit fille croit d’abord en lui. Un vieille mourante attend de lui un miracle pour vraiment se laisser emporter. Ce miracle consistera à faire se lever et marcher un paralytique… qui n’était en fait qu’un flemmard parfaitement valide. Curieux que ce dieu omniscient n’ait pas flairer la combine.

C’est finaud car on se laisse embarquer par les problématiques. On a presque envie de discuter des positions théologiques. Mais la fin nous délivre (du mal?) ! Brillant !

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Deux pour le prix d’un : « Tes père et mère honoreras et Tu ne mentiras point »

Le tout jeune Alain Delon (27 ans) ne se doutait pas des déchirements familiaux auxquels on assiste maintenant alors qu’il se délite et voit clairement la mort dans un proche horizon.

Et dans cette petite histoire, le pauvre en prend plein la figure avec ces histoires de famille. Ces « parents » son terribles. Madeleine Robinson (Svoboda, origine tchèque) est une râleuse insupportable au point que son mari Georges Wilson écrase totalement.

Mais Delon apprend que sa vraie mère est Danielle Darrieux une comédienne radieuse et frivole. Il va la voir et la « belle » de 45 ans « joue » en permanence et pense d’abord que Delon veut d’elle. Elle consent. Il lui explique. Elle lui annonce que Georges n’est pas son vrai père et qu’elle ne sait plus trop lequel de ses amants c’était. Il part et revient vers ses « vrais parents » qui sont ses parents non biologiques. Il y a donc plein de mensonges utiles et de parents réels qu’il n’a pas envie d’honorer. On est en plein paradoxe. Mais c’est très bien joué. La Darrieux nous fait une démonstration de tout premier niveau.

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Quel plaisir de voir jouer Jean-Claude Brialy en petit employé de banque indiscipliné, qui finit fièrement dans la grande délinquance. Louis de Funès en braqueur efficace quoique peu futé. Noël Roquevert en inspecteur de police qui n’a pas trop envie de coffrer les vrais coupables, compte tenu de la paperasserie. Jean Carmet en clodo qui pleure sa bouteille de pinard et son saucisson, alors qu’il a devant lui une valise pleine de millions. Le plus innocent sera celui qui sera coffré. Tu parles d’une justice immanente. Il ne fallait pas laisser ce « Tu ne déroberas point » dans les mains d’un Michel Audiard.

Célébrons ce film « grand cru » à la française, du temps de notre gloire. 8/10

j’aime le Duvivier de La Fin du jour, de Panique, des don Camillo, de Pot-Bouille, de Voici le temps des assassins, de Marie-Octobre et moins celui qui fait des concessions « sociales » en 1936 comme avec La Belle Équipe ou de Pépé le Moko en 1937

Ce réalisateur est décrit par Bardèche et Brasilach comme un académicien du cinéma. Ce n’est pas un compliment. Ils le voient comme un metteur en scène habitué aux ruses de la scène et qui fait des concessions. Ce sont des allusions claires aux rapports entre La belle équipe et le « style front populaire ».

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Diable_et_les_Dix_Commandements

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Tisot

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Madeleine_Robinson

https://fr.wikipedia.org/wiki/Danielle_Darrieux

https://fr.wikipedia.org/wiki/Julien_Duvivier

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